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 Editions Sources du Nil  : Livres sur le Rwanda, Burundi, RDCongo

Julius Nyerere, carte maîtresse du Front Patriotique Rwandais

4 Juillet 2009 , Rédigé par Editions Sources du Nil Publié dans #Histoire - politique

Julius Nyerere, une carte maîtresse dans le jeu du Front Patriotique Rwandais


 Sur proposition de Nyerere, la guerre est donc scindée en deux étapes bien distinctes mais complémentaires l’une de l’autre. Il s'agissait de la guerre provisoire et de la guerre définitive dont nous allons exposer les tenants et les aboutissants. Cette scission a été décidée au cours de la réunion tenue le 20 avril 1990 de 14h à 16h15 dans le palais présidentiel de Rwagitura à Mbarara comme en témoigne le procès verbal de la réunion.

 

Le cerveau d’un tel stratagème n’est personne d’autre que l’ancien Président tanzanien, Mwalimu Julius Kambarage Nyerere. Mais en sa qualité de leader de la «libération régionale» et planificateur de la guerre régionale, c'est Museveni qui va avaliser la proposition avant de la mettre en œuvre. En effet, une réunion d’évaluation des obstacles liés à l’assassinat du président rwandais à l’intérieur de son pays s'était tenue le 10 mars 1990 dans le palais présidentiel de Kampala.

 

Sur demande de Museveni, Nyerere avait conçu ce plan transitoire en vue de suppléer à l’échec d'une série d’actions menées par des commandos de la NRA à l’intérieur du Rwanda. La guerre provisoire ne visait pas à porter le FPR/NRA au pouvoir. Il s’agissait d’abord d’une contrainte militaire sur le Rwanda pour ensuite contraindre militairement son représentant à un simulacre de négociations de paix dans l’un des pays complices de l’Afrique centrale, orientale ou méridionale, selon les termes de Nyerere, où toutes les conditions étaient réunies pour l’y assassiner. Cette stratégie permettait de déjouer la sécurité intérieure trop serrée autour de Habyarimana et de l’assassiner pour déclencher la guerre définitive. L’assassinat devait par ailleurs mettre immédiatement fin au simulacre de négociations de paix et agir comme une force « détonateur » de l’effondrement de l’ordre politique au Rwanda.

 

A l’inverse de la guerre provisoire, la guerre définitive obéissait donc au plan initialement conçu en 1989 et qui n’avait pas pu être exécuté suite au retard enregistré par l’équipe chargée d’assassiner Habyarimana. Cette guerre avait des visées génocidaires contre les Hutu du Rwanda dont l’occupation par l’armée ougandaise ne pouvait se réaliser qu’à travers le retour armé des réfugiés Tutsi du camp de Nakivala organisés par Fred Rwigyema et Bayingana[1], ceux du camp de Masaka, majoritairement naturalisés ougandais et pratiquement étrangers à l’organisation des réfugiés Tutsi, mais organisés, endoctrinés et mobilisés par Museveni et Kagame qui entendaient par ailleurs contrer la popularité indéniable d’un Rwigyema jugé plutôt défavorable à leurs desseins franchement génocidaires [2].

 

Pour le duo RPF/NRA débarrassé de Rwigyema de plus en plus sceptique par rapport aux stratégies d’extermination des populations, la conquête du Rwanda par la force qui supposait l’extermination des Hutu, devait faciliter l’occupation du Rwanda par l’Ouganda et son instrumentalisation au profit de la « libération régionale ». Formé dans une telle perspective, Paul Kagame était déjà prêt à assumer valablement cette fonction. Le Rwanda allait servir de tremplin à la poursuite de la guerre notamment dans l’ex-Zaïre, avant d’envisager « la libération totale du Burundi » selon les termes précis de Museveni, puis la conquête de la Tanzanie considéré alors comme le berceau de la « libération ». Il faut noter qu’au départ, les Tutsi du Zaïre et de la Tanzanie n’étaient pas visés par le rapatriement que le FPR/NRA faisait miroiter à la Communauté Internationale comme justification de sa guerre. Ces Tutsi devaient plutôt s’implanter davantage dans ces pays comme l’indiquent clairement des documents ultrasecrets.

 

Nombreux parmi ces Tutsi qui, à condition d’avoir prêté main forte au FPR/NRA, auraient contribué à l’extermination des Hutu et à la « sécurisation » du pays, devaient également  avoir la possibilité ou de s’établir dans leur pays d’origine ou de retourner dans leur pays d’accueil. C’est le cas des Tutsi dits « Banyamulenge » qui servirent de paravent dans les invasions de la RDC en 1996 et en 1998. Dans une enquête de mortalité publiée récemment,  International Rescue Committee (IRC) estime que le conflit et la crise humanitaire en République Démocratique du Congo ont coûté la vie à 5,4 millions de personnes depuis 1998 et continuent, chaque mois, de tuer 45.000 personnes.

 

En effet, le retour pacifique des réfugiés Tutsi au Rwanda a été au départ compromis par Museveni et Kagame qui le jugeaient incompatible avec la finalité ultime de la guerre dite de libération régionale. Une telle guerre devait, selon eux, libérer tous les Tutsi de la région étiquetés globalement et idéologiquement de « Nilotiques » ayant pour vocation d’assujettir les Hutu globalement et idéologiquement étiquetés de «Bantous ». C’est pour obéir à cette logique finale et globale que la guerre de « libération régionale » a été précédée par une vulgarisation subtile et sournoise relative à la prétention selon laquelle il existerait « un peuple nilotique» dans la Grande Afrique de l’Est réputée allemande et qui s’étend de l’Afrique du Sud au Caire en Egypte. Un tel mythe ne pouvait que plaire aux parrains américains et britanniques de Museveni qui convoitent les immenses richesses naturelles et matières premières de la région. Dans ce cadre, quoi de plus simple et de plus efficace que de dresser le « peuple nilotique» contre le « peuple bantou », le premier étant idéologiquement assimilé aux Juifs et le second aux Nazis ?

 

Les « libérateurs » autoproclamés savent cependant faire preuve de pragmatisme. La guerre de “libération régionale » change d’acteurs selon les pays et la composition ethnique de chacun d’eux même si les objectifs globaux restent intacts et identiques, peu importe l’acteur actuel au service de la cause, à court, moyen et long terme. C’est au nom de ce principe que Kanyarengwe Alexis, Théoneste Lizinde, Pasteur Bizimungu et Seth Sendashonga seront intégrés dans le jeu avant de se voir écarter ; que Laurent Désiré Kabila sera assassiné après avoir compris et rejeté la stratégie de Museveni ; que Julius Nyerere a failli, à plusieurs reprises, être assassiné car accusé de trahison après avoir réalisé le caractère particulièrement criminel du tandem FPR/NRA qui aurait souhaité assassiner le président Habyarimana sur le sol tanzanien ; que  J. J. Odongo originaire du Kenya resta longtemps chef d’Etat Major de la NRA pour servir d’instrument aux visées déstabilisatrices de Museveni dans ce pays d’où il partait pour renforcer la SPLA de feu John Garang au Soudan où la compagnie LONRHO [3] est déjà signataire d’un contrat d’exploitation de pétrole une fois le Soudan « libéré » ; que l’armée du FPR comptait dans ses rangs des Somaliens, des Ethiopiens et des Erythréens souscrivant à l’idéologie raciste de Museveni. Des faits concrets et illustratifs sont nombreux pour confirmer le caractère unitaire de la « guerre régionale » en cours, une Guerre qui est en fait la somme de plusieurs guerres et de « victoires » dans la Région de l’Afrique des Grands Lacs. Les peuples meurtris par ces conflits et même plusieurs de leurs acteurs directs ignorent totalement l’existence de pactes secrets noués entre le duo Museveni/Kagame et ses parrains anglo-saxons dont les soutiens multiformes servent à pérenniser l’extermination des peuples entiers. Il s’agit d’une véritable organisation internationale criminelle qui dépasse tout d’entendement.

 

 

Pour revenir brièvement à la guerre provisoire, il faut rappeler que celle-ci était initialement conçue pour être une opération éclair et présentait toutes les apparences d'un conflit politique plutôt à caractère interne avec pour objectif final de «libérer » le Rwanda. Mais l’ultime finalité de cette offensive était en réalité l’élimination physique du Président Juvénal Habyarimana par laquelle les « libérateurs » comptaient mettre fin au simulacre de négociations de paix et enfin enclencher la guerre totale et définitive tant attendue. Il importe enfin de souligner que la même réunion du 20 avril 1990 a unanimement désigné la Tanzanie comme l’hôte du simulacre de négociations de paix et donc le lieu potentiel du crime.

 

Après une longue série de tentatives manquées pour assassiner son homologue rwandais, Museveni s’était rendu compte que ce dernier n’allait pas être une proie facile. Le maître de Kampala mise alors sur des informations en provenance de l’intérieur du Rwanda pour assurer son succès. Il fait appel aux Tutsi vivant au Rwanda car jugés mieux informés que les éléments du FPR/NRA sur le régime Habyarimana et sur les rouages politico-militaires du pays.

 

A cet effet, les éléments du FPR/NRA opérant à l’intérieur du Rwanda ont été convoqués pour une réunion d’information sur le processus global de planification comme l’indique un document ultrasecret en notre possession (REF5674/HN/94)-Le document précise : «La délégation du PL en provenance de Kigali a exposé son agenda politique certes convaincant mais jugé trop faible pour forcer des changements politiques significatifs. La conclusion a été que seule la force pourrait briser l’ancrage du régime hutu dans la vie politique. Le point d’ancrage de la politique du régime de Kigali est la révolution sociale de 1959 qui doit être effacée de l’histoire. L’absence de liberté politique pour nos frères et leur discrimination à l’intérieur est une menace qui ne finira jamais. Il est impossible d’avoir le soutien local au terme de l’agenda. Le soutien international doit être canalisé à travers le gouvernement ougandais».

 

Selon un autre document relatif aux résolutions de la réunion (REF45678/KIG/RPA/F code of operation 560LP), « Le moment proposé pour l’attaque du Rwanda était à choisir sur la période s'étalant entre le 29 septembre et le 1er octobre 1990. En vue de soutenir l'offensive à venir, le gouvernement ougandais a accordé, entre autres moyens gratuits, tout le matériel et personnel nécessaire. Les 1er et 9ème  bataillons ougandais devaient acheminer toutes les ressources nécessaires comme formellement convenu avec Salim Saleh Akandwanaho[4]. De leur côté, Paddy Ankunda et LT. Col Drago allaient agir sur les préparatifs comme convenu au préalable selon une note (REF 34526/RPA/897-45 Code 560LP)-. Une copie pour information portant résolutions de la rencontre avec la délégation du PL fut adressée aux quartiers généraux des camps militaires de Mbuya et Lubiri » .

 

[1] Officier rwandais de l’armée ougandaise. Il semble y avoir une certaine confusion entre Bayingana et Bataingana. Il s’agira ici de celui qui disparut en même temps que son collègue Chris Bunyenyezi peu de temps après la mort de Fred Rwigyema.

[2] Alors que Fred Rwigema et Julius Nyerere s’inscrivaient dans le mouvement néo-panafricain post-indépendant, celui-ci sera récupéré et vidé de sa substance par Yoweri Muveni après son accès au pouvoir en 1986. En effet, Museveni privilégie les pactes secrets noués avec ses parrains anglo-saxons pour la recolonisation de l’Afrique en lieu et place d’une décolonisation complète.

[3] Cet empire minier britannique créé en 1909 a pourtant annoncé, en 2003, qu’il quittait l’Afrique. Dans les années soixante-dix, Sir Edward Heath, alors Premier ministre britannique, avait ainsi présenté l'entreprise multimilliardaire comme «la face déplaisante et inacceptable du capitalisme».

[4] Il s’agit du très influent demi-frère du Président Museveni

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