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 Editions Sources du Nil  : Livres sur le Rwanda, Burundi, RDCongo

La carte d’identité au Rwanda

20 Août 2014 , Rédigé par Editions Sources du Nil Publié dans #Histoire - politique

Carte d'identité rwandaise en 1956
Carte d'identité rwandaise en 1956

Julien Nyssens


Lors de débats qui ont accompagné la commémoration du génocide rwandais, la question fut souvent posée de savoir pourquoi les mentions tutsi, hutu, twa figuraient sur les livrets d’identité.
Cette question est pertinente.
C'est à partir de l’année 1933 que, à ma connaissance, ces inscriptions y ont été portées. En même temps que le clan (umulyango), que le sexe, que le nom de leur colline et encore de leur année de naissance, les autorités ont ajouté, non pas les noms de tribus comme au Congo voisin, mais des caractères reconnus par la coutume. Les rwandais eux-mêmes se reconnaissaient sans difficulté dans leur appartenance souvent très ancienne à l’une de ces catégories. Cette situation identitaire se constatait journellement dans le comportement et le style de vie de chacun. Cette appartenance pouvait être nobiliaire et relevait dans ce cas du lignage coutumier. Elle pouvait aussi relever de la qualité de shebuja ou nu propriétaire de têtes de gros bétail. Il y avait bien d’autres éléments qui, dans cette société féodale, caractérisaient la dépendance à l’un des trois groupes socio-économico-ethnique.
Les écrits de l’abbé Alexis Kagame, historien ruandais de renom, ont largement expliqué les origines et les implications de ces trois composantes de la société rwandaise. Cette inscription dans le livret d’identité ne conférait, par elle-même, ni droit, ni devoir, ni avantage, ni dommage: c’était le constat d’une situation économico-sociale propre à la structure féodale de la société rwandaise de l’époque.

Elle n’a donné lieu à aucun conflit pendant les vingt cinq années qui ont précédé la révolution sociale de novembre 1959. Au contraire, dans une note datée du 23 mars 1957 appelée « Manifeste des Hutus », les signataires exprimaient leur « opposition énergique, du moins pour le moment, à la suppression des mentions hutu, tutsi et twa dans les pièces d’identité, cette suppression risquant de favoriser encore davantage la sélection (dans l’encadrement et dans l’accès à l’enseignement secondaire où les tutsis étaient majoritaires) en la voilant et en empêchant la loi statistique d’établir la vérité des faits ». C’est donc par souci d’être complètes et authentiques aux yeux de la coutume que ces mentions tutsi, hutu et twa ont figuré sur les livrets d’identité.
On ne pouvait imaginer en 1933 que plus de soixante ans plus tard, le peuple rwandais allait utiliser ces caractères comme prétexte à un insoutenable génocide. Comme en d’autres pays, ce sont les différences entre les composantes de la nation qui servent bien souvent de prétexte à des revendications : religion, couleur de la peau, langue, peuvent être instruments du pouvoir, tandis que l’absence d’alternance dans son exercice exacerbe les revendications.
L’adaptation au contexte sociologique de l’époque – ici le régime féodal – est une condition nécessaire pour comprendre et admettre cette mesure qui date d’il y a plus de quatre-vingts ans, Cela demande un effort d’adaptation d’autant moins facile que la situation est ancienne.
Par ailleurs, ce retour en arrière, avec de semblables références identitaires, serait d’autant plus mal venu aujourd’hui qu’il ouvrirait la porte aux mêmes conclusions d’inégalité dans l’exercice du pouvoir. C’est pourquoi il est aujourd’hui de bonne politique de gommer ce qui fut le prétexte à l’horreur du génocide.
Aujourd’hui, la disparition du contrat de servage – l’ubuhake – atténue considérablement, les différenciations sociales et économiques.
Reste encore le combat contre la pauvreté : c’est là un défi majeur pour le pouvoir en place. Puissent les besoins de ces sans voix, majoritaires dans le pays, être rencontrés : il y va d’une véritable pacification. C’est le souhait de tout ami du Rwanda.


Julien Nyssens
Administrateur de Territoire
au Rwanda de 1948 à 1961.

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