Victoire Ingabire accuse le pouvoir exécutif rwandais de s'immiscer dans le travail des magistrats
Déclaration de Victoire Ingabire Umuhoza devant la Cour
Traduction du kinyarwanda au français par Eugène Shimamungu
Déjà plus de six mois après le début de ce procès, j’ai constaté des irrégularités que j’ai tolérées, mais dès aujourd’hui, l’espoir que j’avais dans la justice
s’est évanoui à cause de deux raisons principales :
La première, c’est que la justice a utilisé l’intimidation contre le témoin informateur présenté par la défense. Il a été soumis à des interrogatoires,
perquisitionné, et je trouve qu’il y a un gros problème car si l’accusation avait des reproches contre le témoin informateur, elle aurait dû le déclarer à la Cour auparavant. Mais que cela se
fasse au moment où il avait fourni des informations alors qu’il devait revenir le lendemain, j’ai pensé qu’il s’agissait là de manœuvres d’intimidation. Et je me suis posé la question de savoir
comment l'on peut oser témoigner après les mauvais traitements à l'encontre du seul témoin qui s'est présenté. Je dis cela pourquoi ? Je dois rappeler au procureur Ruberwa une conversation
que nous avons eue dans son bureau avant que je sois mise aux arrêts. L'accusation a cherché des témoins à charge parmi les prisonniers de la maison d’arrêt de Gisenyi. Les prisonniers ont
raconté qu’ils avaient été contactés pour témoigner à charge contre moi soi-disant que je les ai recrutés pour les libérer. A ce moment là, j’ai dit au procureur que j’étais au courant de cette
opération, et lui avais demandé d’y mettre un terme.
Au mois d’octobre, lorsque j’ai été arrêtée après la diffusion des accusations selon lesquelles j'avais collaboré avec un soldat du FDLR pour déstabiliser le pays,
des gens ont également fourni d’autres informations en disant qu’ils connaissaient Vital, ils ont même donné des noms de ses contacts au sein du service de renseignements. Mais pour ne pas mettre
en péril leur sécurité, ils ont dit qu’ils ne pouvaient rien dire. Le fait de dire qu’ils avaient des renseignements et qu’ils ne pouvaient rien dire, moi je prenais cela comme une exagération
ridicule. Mais après avoir vu comment le témoin de la défense a été traité, le doute pour moi a été levé concernant les personnes qui refusaient de témoigner par crainte de leur sécurité. En fait
j’ai été persuadée qu’ils avaient raison. Auparavant je pensais que c’était de la lâcheté, mais après ces menaces je me suis posé la question de savoir comment une personne qui n’est pas en
prison devait se comporter si, après avoir témoigné, elle retrouve son domicile mis sens dessus dessous. J’ai compris que ces gens ont refusé avec raison de donner des témoignages pour mon procès
parce qu’ils ont vu comment ce témoin a été traité. Ces craintes d’intimidation nous amènent au deuxième point :
Les crimes dont je suis reprochée sont très lourds, ce sont des crimes qui comprennent le crime d’incitation au génocide, de renversement du pouvoir par le
terrorisme et la guerre. Et si en plus les témoins sont intimidés alors que les autorités m’accusent de crimes aussi lourds, quel magistrat osera prononcer un jugement qui va à l’encontre des
charges portées contre moi par le pouvoir? Est-ce que le verdict sera accepté par le même pouvoir? Surtout si ces magistrats subissent la même intimidation que celle exercée contre les
témoins.
Je dis tout ça pourquoi ? Je le dis parce que depuis le début du procès, le Président de la République et le Ministre de la Justice ont continué à m'accuser à
travers les media, dans les discours tenus en public, à prendre partie alors que moi j’avais espoir en la justice. Parce que devant la justice, j’avais espéré que le pouvoir exécutif allait
laisser le pouvoir judiciaire faire son travail. Mais comme ils ont continué à proférer des accusations à travers les medias, à l’intérieur du pays comme à l’extérieur, je me suis posée la
question de savoir quel juge, au Rwanda, osera prendre une décision qui va à l’encontre des accusations de ces autorités. Je trouve que ces deux raisons suffisent pour annihiler tout espoir d’une
justice équitable dans ce procès.
Honorables juges, le 8 avril 2011, le Procureur a demandé à la direction de la prison de me présenter dans son bureau. Je m’y suis rendu. Nous avons eu un entretien
de deux heures. Pendant cet entretien, il m’a expliqué que selon leur analyse, ils ont conclu que j’avais le but de mettre en place un pouvoir hutu, ce dont les Tutsi avaient peur. Et que
cela était inacceptable. Qu’il a trouvé que si je n’avais pas été mise en prison, j’allais inciter la population à la désobéissance civile. Je lui ai répondu qu’ils se sont trompés sur mes
intentions. J’ai fait un compte rendu de cette entrevue que je lui ai fait parvenir. Je peux vous donner une copie de cet entretien.
C’est un compte rendu que j’ai fait parvenir au Procureur après notre entretien qui a duré deux heures, le 8 avril 2011. Il m’a expressément dit que la raison de
mon incarcération, c’est parce que j’avais l'intention de mettre en place un pouvoir hutu. Parce qu’ils avaient l’impression que j’allais soulever la population contre le pouvoir.
(Interruption). Ce compte rendu comprend les déclarations du Procureur, la raison de mon incarcération et mes observations. C’est pour cela que je le délivre
à la Cour. Vous allez trouver que le compte rendu est estampillé « Confidentiel », parce que je n’avais pas voulu que cet écrit soit rendu public, mais je demande au Vice-président qu’il soit
publié pour que les gens sachent la raison pour laquelle je suis emprisonnée.
Je voudrais répéter devant vous Messieurs les juges, que je ne suis pas revenue dans mon pays pour aliéner qui que ce soit de ses droits, je ne suis pas revenue
dans mon pays pour y créer des troubles, je ne suis pas revenue dans mon pays avec un objectif d’y faire du terrorisme ou la guerre. Nous n’avons jamais prôné dans notre programme l’utilisation
des armes pour changer le pouvoir actuel. Tout cela ne faisait pas partie de notre programme. Je suis revenue dans mon pays parce que je l’aime, j’avais l’intention de travailler avec d’autres
Rwandais pour soutenir un développement basé sur la démocratie. C’est la voie que nous nous sommes fixés avec mon parti le FDU. Je sais que c’est un long processus qui demande du courage et de
l’abnégation, je demande aux militants du FDU de suivre ce chemin. (Interruption)
Honorables juges, j’ai pris la décision de ne pas continuer ce procès et je demande à mes avocats de ne plus me représenter parce que je constate que je
n’obtiendrai pas justice. Je ne me présenterai plus devant la Cour, je demande à mes avocats de ne plus continuer les plaidoiries, car j’ai constaté au fur et à mesure les mêmes craintes, que le
pouvoir a peur que je ne soulève la population contre lui, que même si je trouvais des preuves à décharge cela ne servirait à rien, si le pouvoir n’est pas convaincu que moi Ingabire, je ne veux
pas soulever la population contre lui, tout ce que je ferais ne servirait à rien.
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