RDC: RCD, chronique d’une mort annoncée
Source: Direct!cd
Publié par La Rédaction, le 14 septembre 2011
L’heure de la grande finale démocratique approche, et la politique a repris ses droits. Les vrais politiques sont, désormais, au-devant de la scène, et sur les routes des campagnes – et de la campagne. Politiquement illisible, idéologiquement inclassable, et sociologiquement introuvable nulle part sur l’étendue du pays, le RCD ruberiste a voulu conjurer le sort en organisant, c’est l’ère du temps, son congrès.
Pour tout dire, pas plus de 60 participants, car l’heure des comptes a été implacable : le parti s’est totalement vidé. Depuis le départ de l’aile sociologique du parti, celle constituée par les Serufuli, Onusumba, Vunabandi, Tshitoka, Mugenyi et autres, partis créer l’UCP, l’embarcation n’a cessé de prendre eau de toutes parts. Aujourd’hui, les derniers fidèles – les députés Robert Ilunga Kambala, Matadi Nenga, Claude Mabo et Laurent Batumona, ainsi que le vice-gouverneur du Bas-Congo Déo Nkusu Bikawa– ont, à leur tour, quitté la barque. Ruberwa traîne une coquille désespérément vide entre ses mains. Manque de chance, à l’heure des grandes manoeuvres politiques, à la majorité comme à l’opposition, nul ne le sollicite. Personne, en effet, n’a oublié les multiples trahisons d’un RCD finalement peu digne de confiance, et qui passe son temps à jouer au malin avec ses partenaires. A l’UDPS, on n’a jamais digéré le jeu trouble de cet ancien allié lorsqu’a été désigné Z’Ahidi Arthur Ngoma comme vice-président de la République en lieu et place de Tshisekedi, autant que leMLC n’a pardonné au RCD son alliance avec le PPRD qui lui a fait perdre le gouvernorat des quatre provinces : les deux Kasaï, Kinshasa et le Bas-Congo. Question à un franc congolais : comment le RCD, cet ex-mouvement insurrectionnel le plus puissant des belligérants, le RCD qui fit trembler ses ennemis sur le champ opérationnel, et qui bénéficia d’un impressionnant « pacquage » des postes – dont la vice-présidence de la République en charge de la Politique, Défense et Sécurité – pendant la Transition « 1+4 », a-t-il pu devenir aussi vite l’ombre de lui-même, s’éroder jusqu’à disparaître, carrément, du landerneau politique congolais ? Retour aux origines lointaines d’une mort politique, aujourd’hui, plus qu’évidente.
Ce dossier n’a aucun relent ethniste. L’évocation de l’appartenance communautaire de certains acteurs l’est à titre purement pédagogique et vise plutôt à mieux faire comprendre le comment et le pourquoi de la crise qui a conduit le RCD à la déchéance et ne devrait nullement servir à des généralisations abusives.
Dans les milieux proches de l’ex-mouvement rebelle pro-rwandais, l’on aime rappeler cette histoire des années insurrection. L’événement se passe au «Musée», la belle résidence du Maréchal au bord du lac Kivu transformée en quartier général de la rébellion, et devenue depuis la fin de la guerre le siège du gouvernorat du Nord-Kivu. Me Alexis Thambwe Mwamba, chef du département des Affaires étrangères, discute vigoureusement avec son collègue de la Sécurité, le Dr Bizima Karaha.
A court d’arguments, ce dernier se lève tranquillement, et, d’un pas nonchalant, s’avance vers la fenêtre et tire le rideau. De sa petite voix suave, il demande à
Thambwe : «Qu’est-ce que tu vois là dehors ?» Thambwe peine à comprendre le sens de la question. Après quelques hésitations, il répond : «Ce sont nos soldats». Et Karaha de repartir : «Ce sont
eux qui exposent leur corps aux balles ennemies pour que nous ici, à Goma, nous puissions nous dire leaders. Combien de tes frères Bakusu tu as réussi à mobiliser parmi eux ? »
Thambwe contempla lentement les soldats au dehors, et se tut. Définitivement.
Quelques mois plus tard, il démissionnait du RCD à l’issue d’un voyage à Bruxelles. L’histoire paraît invraisemblable comme un poème de cavalerie, mais elle permit à Thambwe, blanchi sous le harnais du mobutisme triomphant, de comprendre, enfin, cette vérité essentielle: pour exister, peser et compter, une rébellion a d’abord besoin des combattants – et des canons.
Et à ce stade de l’existence du RCD, seuls les Tutsi, qu’ils soient du Nord-Kivu ou Banyamulenge du Sud-Kivu, constituaient la très large majorité des soldats
insurgés. A cette époque, si le RCD est théoriquement dirigé par le Dr Emile Ilunga Kalambo, révolutionnaire mélancolique de l’épopée Tigres katangais, c’est Bizima Karaha qui en est le véritable
homme fort, le « Deus ex machina ».
Il dirige le mouvement avec deux autres personnes toutes issues de sa communauté: le 2ème vice-président Moïse Nyarugabo, et le chef adjoint du département des
Affaires étrangères, Azarias Ruberwa.
Dans Goma, on les surnomme le « Trio Kanyaru ».
«S’il est vrai que Karaha détenait la réalité du pouvoir, il faut lui reconnaître le mérite d’avoir promu de nombreux jeunes congolais sans acception de leurs origines ethniques ou provinciales. Ses deux compagnons, par contre, avaient une vision clanique du RCD.», se souvient un ancien cadre de ce parti.
Serufuli tisse sa toile
Un homme comprit le sens de ces réalités politiques, le Hutu de Rutshuru Eugène Serufuli Ngayabaseka. Anesthésiste et diplômé en santé publique, il preste à l’intendance générale à Goma. En 2000, après la mort du raffiné gouverneur du Nord-Kivu Léonard Kanyamuhanga Gafundji, c’est sur lui que les Rwandais jettent leur dévolu pour son remplacement. Un homme s’oppose, et ose le dire à haute voix : Azarias Ruberwa. «Sa revendication était que Kanyamuhanga étant Tutsi, il fallait le remplacer par un autre Tutsi », affirme un autre ancien du RCD. Chef du « Desk Congo » dans les services de sécurité rwandais, le major Jackson Nkurunziza, dit Jack Nziza, nommé depuis général, prit acte de cet affront. Il n’empêche : Eugène Serufuli est nommé gouverneur du Nord-Kivu. Il résolut immédiatement de tisser sa toile, développe un discours particulièrement charmeur vis-à-vis de sa communauté, et en devient, en peu de temps, le leader incontesté. Il conscientise les siens pour dénoncer les combattants rwandais des FDLR car «seul un hutu congolais peut détecter un hutu rwandais». Mais comme pour exister, peser et compter, il faut disposer de combattants, il constitue une force paramilitaire destinée à protéger collines et vallées, et réussit à pacifier, un tant soit peu, la partie de la province sous son contrôle. Et, last but not least, il déverse ses «nyumbakumi», combattants chargés d’assurer la sécurité de tous groupes des « dix maisons», dans l’armée du RCD où ils deviennent la majorité des 47 000 soldats du mouvement.
A Kigali, chez le parrain rwandais de la rébellion, on ne tarit pas d’éloges à son endroit. Là-bas, on aime les gens efficaces. Serufuli compte, désormais, très lourd. Mais entre-temps, Ruberwa a pris du galon. Pendant que le mouvement est dirigé par Ilunga Kalambo, avec Jean-Pierre Ondekane et Moïse Nyarugabo comme adjoints, une insurrection éclate à Minembwe, le fief des Banyamulenge. C’est une rébellion contre la rébellion, et qui a le toupet d’imposer à la redoutable armée rwandaise des mémorables devoirs à domicile. Elle est dirigée par Pacifique Masunzu, connu pour sa gâchette facile à Makobola quelques années plus tôt, et mécontent qu’on ne lui ait pas confié le commandement de la milice de sa communauté dont il avait contribué à la mise sur pied. A Kigali, l’on ne décolère pas contre cette minorité pour laquelle le Rwanda fait tout, et qui se montre désormais rebelle. A Goma, les leaders de la communauté prennent conscience du risque de discrédit qui pèse sur l’ensemble de leur groupe. Ils décident donc d’envoyer un de leurs négocier avec Masunzu. Ce sera Nyarugabo.
Mais au Rwanda, celui-ci n’a pas bonne réputation. Chaque fois qu’il essaie de faire de la politique, il se fait berner comme un enfant. L’on rappelle que c’est lui qui avait été chargé de rédiger la déclaration de prise de pouvoir par l’AFDL à Lubumbashi le 17 mai 1997. Mais il se fit rouler par un Laurent-Désiré Kabila, autrement plus expérimenté, et qui s’autoproclama président du pays, reléguant le mouvement à la figuration. Tout de même, Nyarugabo se rend au Sud-Kivu, avec une valise satellitaire de l’armée rwandaise afin d’assurer ses communications.
Leadership irresponsable
Le rendez-vous avec Masunzu a lieu à la sortie de Bukavu, sur la route d’Uvira. Sur place, Masunzu lui demande la valise satellitaire comme s’il voulait faire une communication, avant d’embarquer dans une voiture en direction d’Uvira. Les soldats RCD mettent en joue, mais Nyarugabo leur interdit de tirer, et d’attendre son retour. La voiture reviendra – c’était un tawi – mais Masunzu ne revint jamais. La négociation n’a même pas eu lieu, mais la valise satellitaire est perdue. Tout ça parce que Nyarugabo avait encore voulu faire de la politique.
Sur les mille collines, c’en est trop. Le gouvernement rwandais envoi James Kabarebe chasser tout ce leadership irresponsable. Arrivé à Goma, celui-ci fait le tour des résidences des principaux cadres du mouvement – Ilunga, Ondekane et Nyarugabo – pour les informer de leur déchéance. Ensuite, il rassemble tous les officiers généraux et les met d’accord sur la désignation d’Adolphe Onusumba Yemba comme président et Sylvain Buki comme chef d’état-major en remplacement d’Hugo Ilondo. Onusumba, successeur d’Alexis Thambwe Mwamba aux Affaires étrangères, les «afande» de Kigali le connaissent, car il a fait ses classes dans leur centre de formation pour officiers de Gabiro. Et Kabarebe participe lui-même à la session du Collège des fondateurs qui entérine ces désignations, et vide les lieux avant qu’on ait choisi le secrétaire général. Ruberwa peut alors soupirer et postuler. L’affront qu’il avait fait à Jack Nziza lui était remonté à la tête et avait suscité en lui une peur panique. Il remporte le match face à Joseph Mudumbi, le chef du département de l’Intérieur. Vue de Kigali, désormais les deux leaders rwandophones les plus en vue sont le nouveau SG Ruberwa et le gouverneur Serufuli. Le premier joue à ce point bien sa carte qu’il réussit à faire adopter, dans la foulée de leur élection, un article qui fait de lui l’unique ordonnateur des dépenses publiques.
Le gestionnaire de l’argent
Voici Onusumba devenu, à peine élu, une simple étiquette. C’était vrai hier, ça l’est encore aujourd’hui, l’argent est le nerf de la guerre, et le gestionnaire de l’argent, c’est Ruberwa seul.
Ruberwa s’affranchit immédiatement de Karaha, et constitue avec Nyarugabo, désormais simple chef du département de la Justice, un nouveau duo en remplacement du
fameux trio « Kanyaru ». Bizima en fut aigri. Dorénavant, ils sont les seuls vrais maîtres du RCD, et ils allaient donner la pleine mesure de ce qu’ils savent faire en matière de clanisme. Mais
Serufuli sait être autonome. A la tête du Nord-Kivu, il gère un budget colossal, car il a réussi à hisser le collectif budgétaire de la province à plus de 10 millions de dollars. La rivalité
entre les deux hommes allait éclater – déjà ! – très vite. Ce fut le jour où Ruberwa voulut mettre la main sur les recettes de la province du péage routier au motif que le secrétariat général du
RCD, dont il assurait la coordination, s’occuperait lui-même de l’entretien des routes par le biais du département des Travaux publics. Mais Serufuli n’est pas homme à se faire marcher ainsi sur
les pieds. Il refusa catégoriquement d’obtempérer. Dans Goma, l’affaire fit boucan. Les autorités rwandaises durent convoquer les deux personnalités, et tranchèrent en faveur du
gouverneur.
A l’issue du Dialogue intercongolais, le match pour le poste de vice-président de la République chargé de la commission Politique, Défense et Sécurité dévolu au RCD
est rude.
Sale coup contre Onusumba
Président du mouvement, Adolphe Onusumba veut le poste, et mobilise ses soutiens congolais et rwandais pour l’obtenir. Dans cette bataille, tous les coups sont permis, y compris ceux en dessous de la ceinture. Lors de la cérémonie officielle du Dialogue à Sun City, en février 2003, devant le monde entier braqué en direct sur la cité du soleil sud-africaine, Onusumba doit lire le discours de son mouvement. Le voilà qui fait un bond de 10 pages, sautant de la page 2 à la 10. Devant toute l’assistance médusée, il concluait déjà son propos, avant de l’avoir commencé. Avec maîtrise, il se rend compte de la gaffe, s’excuse, et se perd dans ses papiers qu’il remet en ordre. Le mal est fait, Onusumba est totalement discrédité. Un de ses proches accuse alors Ruberwa d’avoir joué un sale tour à son patron. «Onusumba a préparé minutieusement ce discours avec Banza Mukalayi, il l’a lu et relu. Avant d’aller à la tribune, Ruberwa le lui a demandé pour jeter un coup d’œil. Si l’ordre des papiers a été perturbé, le coupable est connu», soutient-il. Ce que réfutent les proches de l’alors SG qui accusent, à leur tour, Onusumba d’avoir été distrait. Nul ne saura jamais la vérité sur cet incident qui fit s’envoler les chances d’Adolphe Onusumba. Mais celui-ci prit acte, et promit de rendre la monnaie de sa pièce à son rival, le moment venu.
C’est donc entre le SG Ruberwa et le Gouv Serufuli que se joue la partie pour le poste de vice-président de la République. Ce dernier est soutenu par de nombreux officiels rwandais, dont le ministre des Affaires étrangères Charles Murigande. Mais Ruberwa obtint un soutien décisif, qui allait faire la différence : celui du général James Kabarebe, devenu Chief of staff des RDF, Rwandan Defence Forces. C’est lui qui aura le poste, mais Serufuli exigea de garder son maroquin de gouverneur pendant la « Transition 1+4 » qui s’annonçait, ainsi qu’un poste important au niveau de la direction nationale du RCD en passe de devenir un parti politique classique. Il obtint tout cela, mais fut, en plus, chargé du très stratégique bureau secondaire du parti à Goma. Puis vint le moment du partage du butin, du «pacquage» comme on disait ici. Les Tutsi obtinrent, dès le départ, en plus de la vice-présidence de la République, le poste de vice-ministre de la Sécurité et de l’Ordre public avec Tharcisse Habarugira. Puis, en cours de marche, les postes de ministre de la Défense avec le même Habarugira, et de ministre de l’Economie avec Moïse Nyarugabo.
Rapport désastreux
Bien plus, sur les 10 personnes issues d’autres provinces qui furent choisies pour occuper des strapontins ministériels, la moitié au moins étaient des beaux-frères ou belle-sœur, car mariés à des conjoints Tutsi, ou encore nés de mères Tutsi. Les Hutu, eux, ne durent se contenter que du ministère du Portefeuille, confié à l’excellent Célestin Vunabandi. Sur le plan militaire, le rapport fut encore plus désastreux. A eux seuls, les Tutsi alignaient cinq généraux : le chef d’état-major en charge de la Logistique Malick Kijege, l’auditeur général adjoint des FARDC Bivegete, l’inspecteur général adjoint de la PNC Charles Bisengimana, le commandant région Laurent Nkunda qui refusa son poste et fut remplacé par Obedi Rwibasira. Les Hutu, eux, n’eurent rien du tout. Pendant la Transition, lorsque vint le partage des entreprises du portefeuille de l’Etat, la tradition fut encore respectée. Les Tutsi obtinrent deux des trois principales sociétés dévolues au RCD, avec le très efficace Déo Rugwiza à l’OFIDA, et Alexis Gisaro, aux états de service inconnus, à l’ONATRA. En moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire, Gisaro se faisait virer de l’ONATRA comme un mal propre. Les Hutu, encore une fois, durent broyer de la braise, se contentant de quelques postes d’ADG adjoints.
Avoir donné la majorité des combattants et ne recevoir aucune récompense, c’était, à l’évidence, une flagrante violation de la «doctrine Karaha». Mais ils prirent
acte, et promirent de prendre leur revanche le moment venu. Premier d’entre eux, Eugène Serufuli est un vrai politique. Il sait que, s’il n’y a rien de définitif en politique, il existe le
provisoire et le durable. Et que si la transition est le prototype du provisoire par excellence, le durable ne peut se gagner qu’avec les élections qui confèrent une véritable légitimité. Il
décida donc de faire de la politique : de longue haleine, il investit le terrain, harangue des foules enthousiastes à Masisi-centre, réinsère les déplacés à Walikale, prend modestement son repas
avec des paysans de Mirangi, visite les cultivateurs de Nyakakoma, danse au clair de lune avec les villageois de Rutshuru les chorégraphies Intore dans lesquelles il excelle… Pendant ce temps à
Kinshasa, Ruberwa, lui, est grisé par la miraculeuse ascension qu’il n’aurait jamais rêvée même dans ses rêves les plus colorés. Gyrophares et sirènes des cortèges officiels le subjuguent
littéralement. Et il fait tout, sauf de la politique, convaincu qu’au regard de la situation particulière de la RDC, les partenaires occidentaux vont bien imposer un gouvernement d’union
nationale après les élections. Et que, par conséquent, il pourra hériter d’un important poste ministériel quel que soit le vainqueur. Surtout qu’il a décidé de se croire particulièrement
intelligent, et, de ce fait, indispensable à la nation congolaise en quête de repères. Ce qui, au passage, fait souvent rire le Dr Karaha – le même !
Vint, enfin, le grand rendez-vous: les élections de juillet 2006. Il y eut d’abord la présidentielle. Paul Kagame convoque Ruberwa pour lui demander de soutenir la
candidature de Joseph Kabila, et de mettre l’essentiel de leurs moyens pour gagner un grand nombre des députés. Ruberwa refusa net, devant le président rwandais étonné. Mais Kagame connaît ses
anciennes ouailles. Il connaît qui pèse et où. Et pour l’heure, il doit rendre service au président candidat Joseph Kabila qui le lui a demandé, afin d’assurer la tranquillité dans le Nord-Kivu,
un des fiefs les plus importants du président sortant, et où Laurent Nkunda Mihigo a pris la fâcheuse habitude de faire le coup de feu.
«Ce n’était déjà plus un parti, ça»
L’homme fort de Kigali convoque ainsi Eugène Serufuli, et lui demande de pacifier la province et de soutenir la candidature de Joseph Kabila. Le gouverneur accepte : il conduira donc la campagne de Joseph Kabila pendant que, dans l’hinterland Masisi-Rutshuru qu’il contrôle, Nkunda fait propagande pour Jean-Pierre Bemba. Dans le même temps, Adolphe Onusumba, devenu ministre de la Défense, se rappelle au bon souvenir de Ruberwa. Chargé de diriger la campagne de son chef de parti au Kasaï oriental, il abandonna dans des hangars tous les effets de campagne de Ruberwa, et préféra battre campagne pour Kabila. Même chose pour Lola Kisanga, gouverneur de la province Orientale, qui s’allia également au président candidat. Ce n’était déjà plus un parti, ça. Ça tenait juste d’une hypocrisie consensuellement partagée. Pendant ce temps, Ruberwa part en campagne, convaincu de l’emporter. A l’issue d’une campagne mollassonne et sans éclat, c’est héroïquement qu’il arrache la peau de l’ours : seulement 1% des suffrages. Pour les législatives, ce n’est pas une défaite mais une bérézina : seulement 15 députés sur les 500 qui composent l’Assemblée nationale, là où le PPRD caracole à 111 députés et que le MLC se défend valablement avec 64 élus. Mais très vite, on fit les comptes : les Hutu totalisent 4 des cinq députés nationaux du Nord-Kivu, et 6 des sept députés provinciaux, dont Serufuli, qui a réalisé un raz de marée dans le Rutshuru (plus de 100 000 voix). Mais ils sont devancés, et c’est la surprise, par le groupe Luba-Kasaï (4 députés nationaux au Kasaï occidental, 2 au Kasaï oriental, 1 à Kinshasa ; 7 députés provinciaux au Kasaï occidental, 8 au Kasaï oriental), devenu le principal contributeur en terme d’élus au RCD.
«Doctrine Karaha»
Les Tutsi, eux, n’obtinrent rien du tout : ni député national, ni député provincial. Et les bonnes âmes se rappelèrent la doctrine du bon Dr Karaha, juste revue et corrigée : « l’heure des canons étant révolue, pour exister, peser et compter, un parti politique a besoin d’élus ». Et les principaux contributeurs ici sont les Kasaïens et les Hutu. C’est donc à eux qu’il revient de prendre la direction du parti. Mais Ruberwa, lui, voulait conjurer le sort. Il prend ainsi contact avec feu Samba Kaputo afin de négocier son entrée dans le gouvernement Gizenga. Il précipita même ses missi dominici Matandi Nenga, Kitembo et Efole chez le chef du PALU. Sans le moindre gène, il tiendra ensuite une conférence de presse pour «solliciter l’entrée dans le gouvernement afin d’apporter son expertise».
Sauf que ça ne marche pas comme ça chez Gizenga, qui a tôt fait d’opposer son légendaire «Yandi ve» (Pas lui, en kikongo). Et puis, de toute évidence, le chef de l’Etat sait que Ruberwa ne représente rien du tout, et que, donc, il ne lui sera d’aucun apport. Mais Serufuli, lui, pèse énormement. Il sera donc nommé PCA de la juteuse SNEL. Après cet échec, Ruberwa se découvre très vite l’âme d’opposant. Cela fit rire, mais cela compliqua la vie à ses plénipotentiaires Trésor Kapuku Ngoyi et Déo Nkusu Bikawa, élus respectivement gouverneur du Kasaï occidental et vice-gouverneur au Bas-Congo sur des tickets d’alliance avec le PPRD-AMP. Plus grave, Ruberwa se mit même à réclamer le poste de chef officiel de l’opposition. Nombreux s’émurent aux larmes. Mais cela ne fit pas rigoler au RCD. Où les esprits chagrins se mirent alors à réclamer une session du Collège des fondateurs, afin de faire l’évaluation du leadership Ruberwa. Sentant le danger, celui-ci ajourna pendant deux années entières la convocation d’une telle réunion. Jusqu’à cette pétition de début 2009 par laquelle il fut, finalement, contraint de réunir le Collège.
Une nette majorité des membres, conduite, et ce n’est pas une surprise, par Eugène Serufuli et Adolphe Onusumba, exigea sa démission hic et nunc. Son sang se glaça
dans ses veines, et il se figea net. Mais on peut tout reprocher à Ruberwa, sauf de manquer de ruse. Il demanda ainsi à ses pairs d’ajourner la séance, le temps pour lui de réunir les cadres par
province et de leur faire ses adieux. La séance fut donc ajournée, mais la suivante ne vint pas. Jusqu’à ce jour de juin 2009 où, de guerre lasse, une nette majorité des membres du Collège, soit
20 sur les 34 encore actifs, décida de lire une déclaration de désaveu à l’endroit de Ruberwa et d’installer à sa place un Comité de crise présidé par le gouverneur du Kasaï occidental Trésor
Kapuku Ngoyi. Mais sur place au siège, sis avenue des Forces armées à la Gombe, ils butent à une résistance physique conduite par le secrétaire général Hubert Efole.
En désespoir de cause, ils liront leur déclaration dans une résidence du centre-ville. C’est tout ce que Ruberwa cherchait, son rêve s’est réalisé au-delà des
espérances.
Mensonge effronté
Il peut à présent traiter les autres de putschistes dissidents et convoquer sa session du Collège des fondateurs minoritaire, et y nommer des nouveaux membres pour se faire une nouvelle majorité. Dans la conférence de presse qui s’en suit, il soutient que sa session avait connu la présence des 18 membres alors qu’ils n’étaient que 8, et que, en 2005, le même Collège lui avait accordé un mandat de 5 ans. Il est établi sur la foi d’un philosophe grec que le rouge est la couleur de la vertu. Ruberwa avait la couleur au plus haut point sur sa cravate assortie, mais nullement la vertu. Devant une multitude de journalistes rassemblés, il mentait avec une effronterie voisine de l’héroïsme : la révision des statuts du RCD décidée en 2005 pendant que son deuxième et dernier mandat était déjà en cours, visait plutôt à porter le mandat du futur président du parti à 5 ans au lieu de 2, et non à prolonger celui déjà entamé.
Commence ainsi une guerre fratricide au sein de l’ex-rébellion, qui a désormais deux têtes: Ruberwa, qui n’est guère très doué politiquement, mais qui est rusé, et Trésor Kapuku, qui n’est ni très doué politiquement ni rusé. Ruberwa essaie alors de faire passer la fronde pour une action des Hutu Serufuli et Vunabandi qui veulent déstabiliser le Tutsi qu’il est. Sauf que parmi les frondeurs, l’on note la présence des personnalités Tutsi d’importance comme le notable de Rutshuru, Léon Muheto, l’homme d’affaires de Masisi Alexis Makabuza, ainsi que l’historique Dr Karaha – le même ! L’affaire est portée en justice où elle traîne depuis plus de deux ans, Ruberwa et son camp multipliant des subterfuges pour que le tribunal n’entre jamais dans le fond du dossier. Par mesure de prudence, les membres du Comité de crise ont décidé de créer un parti en réserve, l’UCP, Union des Congolais pour le progrès, dirigée par Eugène Serufuli. Ce faisant, c’est la réalité sociologique du RCD qui est ainsi partie. Désormais, Ruberwa traîne désespérément une coquille vide. C’est le fameux « Club des battus », qui rassemble tous ceux qui, après avoir obtenu d’importants postes pendant la Transition « 1 + 4 », ont copieusement mordu la poussière aux élections : Moïse Nyarugabo, Hubert Efole, Gertrude Kitembo, Jean-Pierre Lola Kisanga, Theo Baruti, Fabiola Faïda Mwangilwa, Bonny Balamage Nkolo. Seule exception à la règle: le député (Kinshasa/Tshangu) Matadi Nenga Gamanda, brillante étoile du ciel tombée parmi des ténébreux lampions.
Dans ce petit club, Lola Kisanga finit par réclamer la tenue d’une session du Collège afin de réorganiser le parti à l’approche des échéances électorales. Ruberwa lui fait comprendre que le nouveau siège à Limeté, dont la garantie venait d’être payée par le vice-gouverneur de la BCC Jean-Marie Emungu nécessitait encore des travaux. Lola paye la note, mais se surprit d’apprendre que ladite réunion avait été convoquée à son insu et qu’elle avait reconduit Ruberwa président du RCD pour un nouveau bail de 5 ans. En fait, une élection surprise comme au très très démocratique Gondwana ! Lola venait d’être roulé dans la farine, comme un enfant. « A la veille d’aussi grandes échéances, comment un parti sérieux peut-il se donner Ruberwa comme président ? Non seulement il n’a de base nulle part, mais en plus, nul ne veut de lui, ni à la majorité ni à l’opposition », tempête un proche du rapporteur adjoint du bureau du Sénat. Lola Kisanga, le sénateur du Sud-Kivu, Bonny Balamage, et le député de Beni Schadrac Baitsura viennent de créer un nouveau parti: l’ECD, Eveil de conscience pour le travail. Comme si cela ne suffisait pas, c’est au tour du premier vice-Président du parti, Me Matadi Nenga Gamanda, député national de Kinshasa/Tshangu, de quitter la barque. Emportant avec lui le député provincial Laurent Batumona, celui-là même qui avait réussi à faire élire Moïse Nyarugabo au Sénat à Kinshasa, alors qu’il n’y était notoirement connu de personne, et qu’il n’en parle même pas la langue. Les deux ont créé le MSC, Mouvement de solidarité pour le changement. Mais l’érosion continue avec le départ des députés Robert Ilunga Kambala (Tshikapa/Kasaï occidental), Mbata (Dimbelenge/Kasaï occidental), Claude Mabo (Irumu/province Orientale) ainsi que le vice-gouverneur du Bas-Congo.
«Que reste-t-il encore du RCD»?, demande un militant dépité. « Rien, à part quelques courtisans saturés de naïveté et de servilité », lui répond un autre qui a décidé de rejoindre l’UCP.
«L’affaire d’Atlanta»
Mais la question que les observateurs se posent est celle de savoir le pourquoi d’un tel entêtement à se cramponner coûte que coûte à la tête d’un parti, même vidé de toute sa substance. Des cadres qui ont requis l’anonymat rappellent «l’affaire d’Atlanta», ville des Etats-Unis où, à la veille des élections de 2006, Ruberwa avait amené son petit monde devant des donateurs américains. Comme la loi à l’époque interdisait tout financement extérieur des partis politiques, il était question, pour ces bienfaiteurs de verser leur contribution à l’ONG de l’épouse Ruberwa, Chantale Namajana, à charge pour celle-ci de reverser les fonds au RCD pour la campagne. Les fortunés américains vinrent nombreux, burent beaucoup de vin et prirent chacun son enveloppe, avec promesse de verser la contribution. Devant ce beau monde raffiné, le SG du RCD de l’époque, Hubert Kabasu Babu, devenu gouverneur du Kasaï occidental, épuisa son parfait anglais, pendant que le financier du parti, Célestin Vunabandi, voyait déjà rose. Seulement voilà : jusqu’à ce jour, Ruberwa assure ses pairs qu’aucune enveloppe n’est jamais revenue, suscitant des sourires jaunes et des acquiescements hypocrites de la part des cadres du parti.
MULOPWE WA KU DEMBA