Mapping Report Verbatim: Y'a-t-il eu génocide contre les Hutus?
Voici un extrait de la version française du rapport (Fichier Word):
28. La question de savoir si les nombreux graves actes de violence commis à l’encontre des Hutu (réfugiés et autres) constituent des crimes de génocide a soulevé de nombreux commentaires et demeure irrésolue jusqu’à présent. De fait, elle ne pourra être tranchée que par une décision judiciaire basée sur une preuve ne laissant subsister aucun doute raisonnable. À deux reprises, en 1997 et en 1998, des rapports de l’Organisation des Nations Unies ont examiné s’il existait ou non des crimes de génocide commis à l’encontre des Hutu réfugiés et autres réfugiés au Zaïre devenu la RDC. Dans les deux cas, les rapports ont conclu qu’il existait des éléments qui pouvaient indiquer qu’un génocide avait été commis mais, au vu du manque d’informations, les équipes d’enquête n’ont pas été en mesure de répondre à la question et ont demandé qu’une enquête plus approfondie soit menée[1]. Le Projet Mapping s’est également penché sur cette question, conformément à son mandat et en a tiré les conclusions suivantes.
29. Au moment des incidents couverts par le présent rapport, la population hutu au Zaïre, y compris les réfugiés venus du Rwanda, constituait un groupe ethnique au sens de la Convention susmentionnée. Plusieurs incidents répertoriés semblent confirmer que les multiples attaques visaient les membres du groupe ethnique hutu comme tel, et non pas seulement les criminels responsables du génocide commis en 1994 à l’égard des Tutsi au Rwanda et qu’aucun effort n’avait été fait par l’AFDL/APR pour distinguer entre les Hutu membres des ex-FAR et les Hutu civils, réfugiés ou non.
30. L’intention de détruire un groupe en partie est suffisante pour constituer un crime de génocide et les tribunaux internationaux ont confirmé que la destruction d’un groupe peut être limitée à une zone géographique particulière[2]
31. L’ampleur des crimes et le nombre important de victimes, probablement plusieurs dizaines de milliers, toutes nationalités confondues, sont démontrés par les nombreux incidents répertoriés dans le rapport (104 incidents). L’usage extensif d’armes blanches (principalement des marteaux) et les massacres systématiques de survivants après la prise des camps démontrent que les nombreux décès ne sont pas imputables aux aléas de la guerre ou assimilables à des dommages collatéraux[4]. De nombreuses atteintes graves à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe ont été également commises, avec un nombre très élevé de Hutu blessés par balle, violés, brûlés ou battus. La nature systématique, méthodologique et préméditée des attaques répertoriées contre les Hutu ressort également: ces attaques se sont déroulées dans chaque localité où des réfugiés ont été dépistés par l’AFDL/APR sur une très vaste étendue du territoire[6]. La poursuite a duré des mois, et à l’occasion, l’aide humanitaire qui leur était destinée a été sciemment bloquée, notamment en province Orientale, les privant ainsi d’éléments indispensables à leur survie[7]
32. Il est à noter cependant que certains éléments pourraient faire hésiter un tribunal à conclure à l’existence d’un plan génocidaire, comme le fait qu’à partir du 15 novembre 1996 plusieurs dizaines de milliers de réfugiés hutu rwandais, dont de nombreux survivants d’attaques précédentes, ont été rapatriés au Rwanda avec le concours des autorités de l’AFDL/APR et que des centaines de milliers de réfugiés hutu rwandais ont pu rentrer au Rwanda avec l’assentiment des autorités rwandaises. Si en général les tueries n’ont pas épargné les femmes et les enfants, on notera qu’à certains endroits, particulièrement au début de la première guerre en 1996, des femmes et des enfants hutu ont été effectivement séparés des hommes, qui seuls furent tués par la suite[8]
33. Toutefois, ni le fait de ne cibler que les hommes dans les massacres[9] , ni celui de permettre à une partie du groupe de quitter le pays ou même de faciliter leurs déplacements pour différentes raisons ne permettent en soi d’écarter totalement l’intention de certaines personnes de détruire en partie un groupe ethnique comme tel et ainsi de commettre un crime de génocide. Il appartiendra à un tribunal compétent d’en décider.
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[1] Voir Rapport de la mission conjointe chargée d'enquêter sur les allégations de massacres et autres atteintes aux droits de l'homme ayant lieu dans l'est du Zaïre (actuellement RDC) depuis septembre 1996 (A/51/942), par. 80, et rapport de l’Équipe d’enquête du Secrétaire général sur les violations graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire en RDC (S/1998/581), par. 4.
[2] Brdjanin, TPIY (Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie), Chambre de première instance, 1er septembre 2004, par. 703, Krstić, TPIY, Chambre de première instance, 2 août 2001, par. 590 et Krstić, Chambre d’appel, 19 avril 2004), par. 13; Jelisić, TPIY, Chambre de première instance, 14 décembre 1999, par. 8, qui accepte qu’une zone géographique puisse être limitée « à une région… ou une municipalité ».
[3] Parmi les facteurs, faits et circonstances retenus par les tribunaux internationaux pour inférer ou déduire une intention génocidaire on retiendra: le contexte général, la perpétration d’autres actes répréhensibles systématiquement dirigés contre le même groupe, l’ampleur et le nombre des atrocités commises, le fait de viser certaines victimes systématiquement en raison de leur appartenance à un groupe particulier, le fait que les victimes ont été massacrées sans regard pour leur âge ni leur sexe, la manière cohérente et méthodologique de la commission des actes, l’existence d’un plan ou d’une politique génocidaire et la récurrence d’actes destructifs et discriminatoires.
[4] Voir, par exemple, les cas de Lubarika et Muturule (20 octobre 1996) , Kashusha (2 novembre 1996), Shanje (21 novembre 1996), le massacre massif du pont d’Ulindi (5 février 1997), Osso (novembre 1996) , Biriko (décembre 1996 – aucun élément armé n’était à cet endroit au moment de l’attaque).
[5] Cet aspect ressort notamment des crimes commis dans la province du Nord-Kivu à Kibumba (octobre 1996), Mugunga et Osso (novembre 1996), Hombo et Biriko (décembre 1996), Kashusha et Shanje (novembre 1996), dans la province du Sud-Kivu, dans la province du Maniema à Tingi-Tingi et Lubutu (mars 1997) et dans la province de l’Équateur à Boende (avril 1997).
[6] De tels cas ont été confirmés dans la province du Nord-Kivu à Musekera, Rutshuru et Kiringa (octobre 1996), Mugogo et Kabaraza (novembre 1996), Hombo, Katoyi, Kausa, Kifuruka, Kinigi, Musenge, Mutiko et Nyakariba (décembre 1996) et Kibumba et Kabizo (avril 1997), à Mushangwe (vers août 1997), au Sud- Kivu à Rushima et Luberizi (octobre 1996), Bwegera et Chimanga (novembre 1996), Mpwe (février 1997) et sur la route Shabunda-Kigulube (février-avril 1997), en province Orientale à Kisangani et Bengamisa (mai et juin 1997), au Maniema à Kalima (mars 1997) et en Équateur à Boende (avril 1997).
[7] L’Équipe d’enquête du Secrétaire général a conclu que le blocage de l’aide humanitaire était de nature systématique et constituait un crime contre l’humanité: voir Rapport de l’Équipe d’enquête du Secrétaire général sur les violations graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire en RDC (S/1998/581), par. 95.
[8] Cela a été confirmé à Mugunga (novembre 1996), dans la province du Nord–Kivu, et Kisangani (mars 1997), dans la province Orientale.