Et si le texte des "Bagaragu bakuru b'i Bwami" était un faux, et s'il n'avait pas été publié, la révolution rwandaise aurait-elle eu lieu?
C'est en lisant l'extrait du livre de Pierre-Célestin Kabanda (2012) Rwanda, l'idéal des pionniers: les hommes qui ont fait la différence (commandes à adresser aux Editions Sources du Nil, par e-mail sources_du_nil@yahoo.fr, ou chez votre libraire) que je me suis posé
la question. Et si c'était un faux, et s'il n'avait pas été publié (destiné au Roi, le texte a failli ne pas être publié), la révolution rwandaise aurait-elle eu lieu? Lisez-vous même, le
doute en tous cas s'est installé chez moi, puisque rien ne certifie que c'est un vrai! Sauf peut-être que les auteurs prétendus du document n'ont jamais contesté! Parmi les signatures qui n'ont
pas été reproduites (y'en avait-il sur le texte d'origine), l'une a attiré mon attention: Kayijuka dit "umuhanuzi". Est-ce qu'une personne bien pensante peut signer en indiquant son surnom? En
attendant la suite de nos recherches sur ce document, ci-après l'extrait de P.-C. Kabanda:
Voici une déclaration signée par une poignée de douze Batutsi qui se sont qualifiés de Grands Notables de la Cour Royale, déclaration selon laquelle « Les Batutsi remontant d’Ancêtres de sang noble appelé Ibimanuka (descendants du ciel) n’avaient aucun lien de parenté avec les Bahutu. Par conséquent, ces derniers n’avaient aucun droit de réclamer le partage des bénéfices du système qu’ils [les Batutsi] avaient construit » !
Ici je voudrais livrer une confidence d’un ami (au sujet de cet écrit) : trois fonctionnaires de l’Etat en poste à Nyanza eurent la chance de mettre la main sur le document confidentiel des Grands Notables de la Cour royale, document originairement destiné au Mwami en personne, mais qui fut reproduit par le journal Kinyamateka.
Le lecteur me permettra de ne pas révéler les noms des membres du trio, étant donné que l’un d’entre eux est encore en vie. Je tairai donc leurs identités pour des raisons évidentes de sécurité pour cette personne.
L’ami en question me dit, voilà un peu plus de neuf ans :
(…) En fait, dit-il, voici ce qui s’est réellement passé : étant à Nyanza, un soir, j’ai eu un entretien avec deux amis X et Y au sujet des travaux du CSP. Tous trois nous travaillions à Nyanza. Alors X nous dit : ‘il y a un document qui vient d’être rédigé par un groupe de personnes et qu’elles ont fait circuler, de main en main, pour recueillir des signatures de gens proches du Mwami. Ce document est destiné au Mwami en personne, dans l’espoir de l’empêcher de céder aux réclamations des Bahutu, tout comme il l’a déjà cédé au sujet de l’Ubuhake et des Ibikingi à leur grand détriment.
Or, poursuivit X, je sais où se trouve ce document. Nous pourrions peut-être essayer de le dérober ! Là dessus, moi et Y avons trouvé l’idée géniale ; mais nous pensions que les choses tourneraient dangereusement contre nous, au cas où nous serions attrapés!
X nous rassura: « N’ayez crainte car, après tout je travaille dans le bureau où se trouve le document, dans un tiroir non fermé, mais personne ne sait que je suis au courant de la chose. Nous pourrions donc nous y rendre. Moi je rentre dans le bureau comme je le fais souvent, lorsque je n’ai pas achevé la tâche de la journée. Je pourrais donc m’emparer du document. Quant à vous deux, vous m’attendrez à un endroit à convenir, où personne ne pourra vous voir puisqu’il fera noir, et je vous retrouverais là-bas.»
Alors nous nous convenons ainsi et partons, mais toujours avec un sentiment de peur, je dois te le dire. Il s’agissait d’un pari à accomplir et puis, disions-nous, on ne meurt qu’une fois ! Alors nous marchons, en bavardant sur divers sujets, sauf de politique, comme si de rien n’était. Arrivés à l’endroit convenu, Y et moi faisons semblant de nous séparer de X, pour nous embusquer dans une cachette, un peu éloignée du chemin. X continue tout seul, allègrement, pour ne pas attirer l’attention des veilleurs qui; par ailleurs le connaissaient bien. Il a fait quelques minutes au bureau puis sortit avec un journal, comme s’il l’avait oublié là-bas ! Il souhaita bonne nuit aux veilleurs et poursuivit son chemin jusqu’à l’approche de notre embuscade. Nous reformons le trio et repartons, toujours en bavardant de tout et de rien ! Nous arrivons à notre point de départ et commençons à prendre connaissance du document, absolument en dehors de tout témoin. Nous estimons unanimement qu’il était nécessaire de faire connaître au public le contenu très conservateur de ce document. Et puis, nous devions agir rapidement afin de ‘couper l’herbe sous les pieds de ces gens !
Théoriquement la chose n’était pas très difficile à réaliser puisque chacun de nous avait des connaissances sûres chez Kinyamateka. Mais tout de même nous entretenions un doute sur la recevabilité de ce document par Kinyamateka, aux fins de sa publication. Malgré cela, nous décidons de prendre le chemin de Kabgayi.
Nos craintes se sont avérées fausses puisque nous avons rencontré un accueil enthousiaste auprès d’un membre influent du groupe de rédaction de Kinyamateka. Et voilà qu’une semaine après, le document parut en bonne colonne dans le journal.
Sur les lecteurs de Kinyamateka, cette déclaration fit plutôt l’effet d’une bombe, tout en provoquant un ras-le-bol chez les signataires du Manifeste des Bahutu et des sympathisants de leurs réclamations. Il ne fallait que cela pour insuffler un nouvel élan aux leaders de la mouvance révolutionnaire !
Quant à nous trois, nous observions, sans crier gare, les réactions des auteurs du document que nous pouvions encore rencontrer dans Nyanza. Ils avaient un air méditatif. Aucun d’eux ne disait mot ! Nous n’avons pas pu savoir comment ils ont réagi à l’égard de ceux qui avaient recueilli leurs signatures. Toute réaction de leur part, dans un sens ou dans un autre eut été déplacée. La pilule était amère ! Il fallait l’avaler. Nous n’avons pas pu connaître la réaction du Mwami (après la publication du document) vis-à-vis des Grands Notables de sa Cour.
Telle est donc la confidence de quelqu’un qui fut, avec deux autres, à l’origine de la publication du document des Grands Notables de la Cour. Mon interlocuteur a insisté pour affirmer que les auteurs et signataires de cette déclaration n’avaient pas l’intention de la livrer au public, mais de la remettre au Mwami car, apparemment, disait mon ami, « ces Notables excédés par les dispositions du Mwami clairement favorables aux Bahutus, entendaient l’empêcher d’aller plus loin. » Mais c’était trop tard !
Voici le texte en question:
“Ecrit des Bagaragu bakuru b’i Bwami du 17 mai 1958”
“Voici le détail historique du règne des Banyiginya au Rwanda”
L’ancêtre des Banyiginya est Kigwa, arrivé au Rwanda [rwa Gasabo-localité] avec son frère Mututsi et leur soeur Nyampundu.
Ils avaient avec eux leur gros et petit bétail ainsi que de la volaille, chaque fois en paires sélectionnées de mâle et de femelle. Leur Mutwa Mihwabiro les suivait de très près. Leurs armes étaient les arcs doublés (ibihekane), leurs occupations étaient la chasse et la forge.
Le pays était occupé par les Bazigaba qui avaient pour roi le nommé Kabeja. Les sujets de Kabeja vinrent d’abord en petite délégation, ensuite beaucoup plus nombreux et ceux-ci de par eux-mêmes, voir la famille Banyiginya et s’entretenir avec elle. Celle-ci leur a donné, d’abord gratuitement ensuite moyennant services, des provisions de viande, fruit de leur chasse. Dans le royaume Kabeja on ne savait pas forger: aussi tous les ressortissants de ce pays sont venus prester les services auprès de la famille de Kigwa pour avoir des serpettes et des houes.
Les relations entre les sujets de Kabeja et la famille Kigwa furent tellement fortes que ces derniers abandonnèrent leur premier maître et se constituèrent serviteurs de Kigwa.
L’affaire en étant ainsi jusqu’alors, l’on peut se demander comment les Bahutu osent réclamer maintenant leurs droits au partage du patrimoine commun. Ceux qui réclament le partage du patrimoine commun sont ceux qui ont entre eux des liens de fraternité. Or les relations entre nous (Batutsi) et eux (Bahutu) ont été de tout temps et ce, jusqu’à jusqu’à présent basées sur le servage, il n’y a donc entre eux et nous aucun fondement de fraternité. En effet quelles relations existent entre Batutsi, Bahutu et Batwa? Les Bahutu prétendent que Batutsi, Bahutu et Batwa sont fils de Kanyarwanda, leur père commun. Peuvent-ils dire avec qui Kanyarwanda les a engendrés, quel est le nom de leur mère et de quelle famille elle est?
Les Bahutu prétendent que Kanyarwanda est père des Batutsi, Bahutu et Batwa, or nous savons que Kigwa est de loin antérieur à Kanyarwanda et que conséquemment Kanyarwanda est de loin postérieur à l’existence des trois races Bahutu, Batutsi et Batwa, qu’il a trouvées bien constituées. Comment dès lors Kanyarwanda peut-il être père de ceux qu’il a trouvés existants? Est-il possible d’enfanter avant d’exister? Les Bahutu ont prétendu que Kanyarwanda est notre père commun, le « Ralliant » de toutes les familles Batutsi, Bahutu et Batwa: or Kanyarwanda est fils de Gihanga, de Kazi, de Merano, de Randa, de Kobo, de Gisa, de Kijuru, de Kimanuka, de Kigwa. Ce Kigwa a trouvé les Bahutu dans le Rwanda. Constatez donc, s’il vous plaît, de quelle façon nous Batutsi, pouvons être frères des Bahutu au sein de Kanyarwanda, notre grand-père.
L’histoire dit que Ruganzu a tué beaucoup de « Bahinza » (roitelets). Lui est les autres de nos rois ont tué des Bahinza et ont ainsi conquis les pays des Bahutu dont ces Bahinza étaient rois. On en trouve tout le détail dans « l’Inganji Kalinga » Puisque donc nos rois ont conquis les pays des Bahutu, comment maintenant ceux-ci peuvent-ils prétendre être nos frères?
Nous grands Bagaragu de l’Ibwami:
Sé :
KAYIJUKA (dit « Umuhanuzi » -devin) RUZAGIRIZA
SERUKAMBA NDAMAGE
RUKEMAMPUNZI SEZIBERA
MAZINA SEKABWA
RWESA NKERAMIHETO
SEBAGANJI SHAMUKIGA