Congo-Rwanda, l’heure des comptes ?
Source: Le Journal inutile
Après s’être prêté aux procès en diabolisation de Pierre Péan, du juge Bruguière, entre autres, qui dénoncent depuis de longues années le procès fait à ceux qui se demandent qui est Paul Kagamé, l’édition du 27 août du journal Le Monde rapportait les faits suivants :
Afrique : l’ONU ne veut pas laisser impunis dix ans de massacres en RDC
Exclusif : un rapport apporte des éléments inédits et accablants sur les meurtres, viols et pillages massifs de la période 1993-2003 en République démocratique du Congo (ex-Zaïre)... Le Rwanda ne s’y est pas trompé. Depuis des semaines, Kigali déploie ses réseaux et son énergie pour tenter d’étouffer ce rapport qui risque d’atteindre le coeur du régime du président Paul Kagamé, l’homme fort du Rwanda depuis 1994. Le document estime en effet que " les attaques systématiques et généralisées - contre des Hutu réfugiés en RDC - révèlent plusieurs éléments accablants qui, s’ils sont prouvés devant un tribunal compétent, pourraient être qualifiés de crimes de génocide"... Le rapport décrit, par exemple, "la nature systématique, méthodologique et préméditée des attaques contre les Hutu - qui - se sont déroulées dans chaque localité où des réfugiés ont été dépistés par l’AFDL [1]/APR [2]sur une très vaste étendue du territoire". "La poursuite a duré des mois et, à l’occasion, l’aide humanitaire qui leur était destinée a été sciemment bloquée, notamment en province orientale, les privant ainsi d’éléments indispensables à leur survie", dit le rapport. " L’ampleur des crimes et le nombre important de victimes, probablement plusieurs dizaines de milliers, sont démontrés par les nombreux incidents répertoriés dans le rapport. L’usage extensif d’armes blanches (principalement des marteaux) et les massacres systématiques de survivants après la prise des camps démontrent que les nombreux décès ne sont pas imputables aux aléas de la guerre. Parmi les victimes, il y avait une majorité d’enfants, de femmes, de personnes âgées et de malades ", dénoncent les auteurs. Ils précisent que, si Kigali a permis à des milliers de Hutu de revenir au Rwanda, cela ne permet pas " en soi d’écarter l’intention de détruire en partie un groupe ethnique comme tel et ainsi de commettre un crime de génocide.
Depuis quinze ans, une fiction flatteuse à souhait tenait lieu de vérité officielle dans les média occidentaux et particulièrement dans les média anglo-saxons, Paul Kagamé dans un genre un peu ferme, certes, n’était pas loin d’être un des meilleurs dirigeants des pays de la région des grands lacs. Le Rwanda lui devait d’avoir mis un terme au génocide, son redressement et sans doute son entrée dans le Commonwealth. Il avait mis un terme au génocide, la justice marchait à ses côtés, la liberté traînait un peu en chemin, mais l’homme était un libérateur, un guide, un président démocratiquement élu...
Ca c’était avant... Avant que le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) ne se propose de publier les résultats de deux ans d’enquête, de plus de 1 200 auditions de témoins et 600 pages d’un rapport à paraître.
Les faits rapportés sont accablants. Fosses communes, massacres à grande échelle, la litanie des noms de l’horreur pourrait durer. Il y a dans ces histoires africaines, congolo-rwandaises, une somme de bourreaux, de morts, de victimes invraisemblable. Avec ce réflexe de survie, nous peinons à imaginer ce que représentent les chiffres. Cette épouvantable somme de peines, ces millions, je répète millions de morts. Tous ne sont pas le fait du Rwanda, non. Il apparaît néanmoins que les forces armées de ce pays qui ont participé à renverser le régime de Mobutu Sese Seko ont commis des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, à grande échelle.
Je songe aux heures de piste, d’enquête, au travail de fourmi épuisant et dantesque, à ce voyage au bout de l’horreur qu’ont vécu les enquêteurs des Nations Unies pour retrouver 1 280 survivants, pour recueillir leurs récits apocalyptiques. Je songe à l’honneur sali des soldats français de l’opération Turquoise qui sont pourtant allés, seuls, séparer les parties à la frontière rwandaise en 1994. A ces témoins aussi, ces enquêteurs dont les noms furent traînés dans la boue, qui ont été accusés de négationnisme, ce nouveau crime contre la pensée.
Restent les faits. Entre 1998 et 2003, des centaines de milliers de personnes, hommes femmes, enfants, vieillards sont morts assassinés, à l’arme blanche. Tous les coups blessent, jusqu’à celui qui tue. Jusqu’à cette délivrance pour celui qui meurt et ce surcroît d’horreur, de terreur pour celui qui sait qu’il va souffrir longtemps, qu’il ait 8 ou 40 ans, homme, femme, peu me chaut.
Des hommes ont pensé et voulu cette infamie, Paul Kagamé est l’un d’eux, plaise à nos dirigeants de s’en souvenir. En politique étrangère, je pense à notre ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, aveugle volontaire, à notre président de la République qui a accueilli Kagamé en France. Aux polémistes manichéens, dont les diatribes visaient ceux qui cherchaient à savoir et à comprendre. Aux utopistes dangereux, apôtres d’un tiers-mondisme myope, qui non content d’avoir été manipulés ont apporté toute leur énergie et leur volonté pour soutenir Kagamé.
Cette forme d’obscurantisme, prêché au nom des meilleurs sentiments du monde, va devoir s’effacer devant le travail dantesque des enquêteurs des Nations Unies, dont l’honneur et le mérite me semblent aujourd’hui presque infinis. Combien de fois ont-ils dû être raillés, critiqués, ont-ils essuyé les sourires ironiques de diplomates ou de militaires convaincus de la vanité de leur tâche.
Je ne sais pas, il m’est arrivé d’en croiser, de ne leur prêter qu’une oreille distraite, de dire oui, oui, pensant abréger ainsi nos échanges pour me replonger dans ma mission ou mon verre, c’était selon. Comme nombre d’acteurs de terrain je n’ignorais pas grand-chose du rôle du Rwanda et des crimes commis au Congo.
Une vérité étayée de témoignages, de preuves, a infiniment plus de poids que les seules convictions. Les faits sont têtus, Paul Kagamé commandait les troupes qui ont commis ces crimes. Les Nations Unies ont accordé un mois de grâce aux acteurs et gouvernements impliqués dans ces tragédies pour formuler leurs observations. Soit. Je ne sais quelles seront les suites données à ce rapport. Sa seule existence efface l’oubli des crimes et l’anonymat des assassins.
Il nous offre la vérité, nous attendons maintenant la justice.
Notes
[1] L’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL) ou parfois Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre, fut une coalition de dissidents à Mobutu Sese Seko et de groupes ethniques minoritaires congolais qui emmenés par Laurent-Désiré Kabila prirent le pouvoir au terme de la Première guerre du Congo (1996-1997). Bien que l’alliance ait réussi à évincer Mobutu du pouvoir, elle ne survécut pas aux tensions entre Kabila et ses anciens alliés, l’Ouganda et le Rwanda, ce qui amena au déclenchement de la Deuxième guerre du Congo le 2 août 1998.
[2] La progression des forces de l’AFDL, aidées par l’Armée patriotique rwandaise, se traduisit par de nombreux massacres et exactions à l’encontre des réfugiés Hutus. En 1997, une mission de l’ONU conduite par Roberto Garretón, déclare le 11 juillet 1997 que les massacres des réfugiés semblent mériter la qualification de « crime contre l’humanité » et même peut-être de « génocide », cependant, ses conclusions sont gênées par l’obstruction de l’AFDL à l’enquête de la mission onusienne