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 Editions Sources du Nil  : Livres sur le Rwanda, Burundi, RDCongo

A travers le livre de Juvénal Rutumbu: "Rwanda, les voies incontournables de la réconciliation"

26 Juillet 2013 , Rédigé par Editions Sources du Nil Publié dans #Réactions Livres

Juvénal Rutumbu, 2013, Rwanda, les voies incontournables de la réconciliation, Préface de Innocent Nsengimana Dr. Phil., Editions Sources du Nil, Collection, Culture et Foi, format 14,8x21, 452p. ISBN 9782919201167. Prix 20 euros+ frais de port variables selon la destination. Vous pouvez le commander chez votre libraire en indiquant notre e-mail: sources_du_nil@yahoo.fr, vous pouvez également faire votre commande en ligne sur le site www.editions-sources-du-nil.eu.

 


La quasi-totalité des régimes monopartites africains prônent la politique de l'équilibre régional, ethnique ou tribal. Malgré le lot d'injustices que peut générer une telle politique (elle qui sacrifie quelques intelligences et compétences sur son autel…!) on se demande si on ne l'applaudirait pas dans le cas où elle serait mise en pratique. Cependant, que constaterions-nous, à la longue, si nous avions accès aux véritables statistiques politiques ? Peut-être que la politique de l'équilibre s'avérerait comme une façade ou comme une diversion pour faire croire à la justice ! Quel est le pays africain qui n'a pas son Nord ou son Sud, son Gbadolite ou son Yamoussoukro, ses nouveaux Bethléem d'où il faut être originaire pour accéder aux postes les plus importants, pour partager et savourer le gâteau de l'État réparti entre privilégiés du régime ? Quel est le pays africain qui n'a pas ses Bahutu ou ses Batutsi, ses Bangala, ses Baluba ou ses Batetela ? Quel est le pays africain qui n'a pas une caste, une ethnie ou une tribu dont la grande tentation est de vouloir régner sans partage sur les autres ? La plupart des pays africains ne sont-ils pas contrôlés et quadrillés, à la manière policière, par les originaires d'une même caste, d'une même ethnie ou d'une même région ? Et l’on ne cesse pour autant de nous importuner avec la politique de l'équilibre !

A ce sujet, les propos d'E.B. Dongala, dans sa nouvelle Jazz et vin de palme, font réfléchir : « Il commence à parler en disant qu'il fallait combattre le tribalisme ; ça me faisait bien rigoler parce que tous les trois, le secrétaire général du syndicat, le nouveau directeur et le président de la République, venaient tous de la même région du pays. Et je ne suis pas sûr qu'aujourd'hui je ne serais pas directeur de cette usine avec trois cent mille balles en poche, si j'avais été originaire du même coin qu'eux ! Oh, attention, ce n'est pas une attaque, il est normal que la direction du pays soit dominée par les gens de la même région et de l'ethnie du président. Comme dans un jardin, certains coins donnent de meilleurs légumes et fruits que d'autres... Du temps où un type de ma région était président, la plupart des responsabilités politiques et administratives étaient tenues par des gens de mon ethnie. Maintenant : l'inverse. Normal. En Afrique, vous savez, la compétence, comme le génie, s'arrange pour fleurir brusquement dans la région ou dans l'ethnie de celui qui détient le pouvoir. J'ai vécu des cas où des révolutionnaires exemplaires se sont transformés en réactionnaires invétérés et vice-versa, en l'espace de quelques heures, à la suite d'un coup d'État » (E. DONGALA, 1982, p. 104-105).

Ce témoignage, aussi humoristique qu'ironique, sur la situation sociopolitique en Afrique monopartite, se rencontre chez plusieurs écrivains négro-africains à la tête desquels se trouvent les romanciers. De ceux-ci on retiendra le témoignage  – semblable au précédent –  du romancier ivoirien Denis Oussou-Essui. Voici un commentaire concernant le héros de son roman Les saisons sèches. A son retour des études faites en Europe, ce héros vient de recevoir, après une longue attente, une nomination inadéquate à ses qualifications : « Le proverbe dit que l'abondance des pluies étonne les crapauds au point de les réduire au silence. Comme les crapauds, Aguié demeura muet. Il s'attendait à tout sauf à cette nomination. Depuis son retour au pays, il y en avait eu des nominations. Aucun mois ne s'écoulait sans qu'il y en ait eu au moins une. Ce qu'il y avait de frappant, c'est que les tenants du pouvoir, la dynastie régnante, se distribuaient les postes entre eux, de père en fils, d'oncle à neveu, de neveu à cousin, de beau-père à gendre. Ceux qui n'appartenaient pas au circuit familial restaient sur le carreau. Il y avait, d'un côté : les riches, les nantis, les pourvus, les repus ; de l'autre : les laissés-pour-compte. Les nouveaux titulaires d'un grand poste étalaient alors, le lendemain, dans les colonnes du grand quotidien local, des curriculum vitae à rallonge » (D. OUSSOU-ESSUI, 1987, p.).

On comprendra alors aisément que les promesses anti-régionalistes ou anti-ethnistes, que l'on nous sert à chaque changement de régime, restent lettre morte dans le cimetière des discours politiques en Afrique.

Pourquoi une telle situation ? Les motifs en sont multiples : tout d'abord celui qui devient riche ou important dans nos pays le devient aussi bien pour lui-même que pour sa famille, son clan, son ethnie et sa région. Ainsi, en paraphrasant Ahmadou Kourouma dans son roman En attendant le vote des bêtes sauvages, l’on peut dire : « Le dictateur fait de chacun de ses parents, de ses proches et serviteurs, des fortunés comme les princes d’un pays pétrolier du golfe d’Arabie. Il hisse, toujours avec les moyens de l’État, tous les membres de sa tribu au bonheur et au confort matériel que vivent les citoyens des pays développés les plus riches du monde. A tout habitant environnant de sa case natale, il fait octroyer gratuitement une villa par le gouvernement. Il dirige, personnellement, des chantiers de construction de larges avenues qui traversent de part en part sa ville natale et se prolongent dans la forêt et la brousse. ... Il s’amuse pendant ses week-ends et ses nuits, à réaliser, au milieu des pauvres cases basses couvertes de tôle ondulée des habitants, des œuvres splendides et immenses financées par le budget de l’État » (A. KOUROUMA, 1999, p. 174-175).

Par ailleurs, la politique de la sécurité personnelle oblige les premiers de nos pays à recruter (de préférence au sein de leur famille, clan, ethnie et région) les membres les plus sûrs et les plus proches politiquement. Hélas, pas nécessairement les plus compétents et les plus intègres dans la gestion du bien public ! Enfin, les entourages de nos messies nationaux se hissent au niveau le plus haut et le plus fort dans le commandement du pays. Ils finissent par étouffer la personnalité de nos présidents et « phagocyter » de beaux idéaux qui les animaient originellement. Le livre d'Honoré N’gbanda sur la fin du règne de Mobutu l’atteste largement (H. N’GBANDA, 1998). Nombre de nos ex-présidents –pourquoi pas les actuels – signeraient cette confession du héros d'Aminata Sow Fall dans son bon roman (L'ex-père de la nation) : « Je ne me croyais plus capable d'exercer le pouvoir dans un contexte où les hommes s'en servent pour intriguer, se déchirer, se jeter l'opprobre comme dans une galerie infernale où les plus forts en manœuvres inavouables écrasent les autres, où l'hypocrisie est érigée en règle de vie » (Aminata SOW FALL, p. 109)

Aussi voit-on que la politique qui se mène en principe – et parfois aussi en fait – sous d'autres cieux comme une carrière d'intérêt général du pays, s'annonce en Afrique non seulement comme une voie rapide vers l'enrichissement personnel, mais aussi comme un champ de bataille d'intérêts où les plus faibles laissent leurs plumes. Car, en Afrique, entrer en politique, c'est entrer dans un mouroir. Plus vite on connaît l'ascension, plus dure et plus mortelle sera la chute. Comme l'a pertinemment perçu Tidiane Diakité : « La politique est un art, mais en Afrique on en fait un pugilat, mieux, un combat armé, une affaire de force brutale, au point que tout militaire qui dispose d'une arme se sent la vocation à être un homme politique » (Tidiane DIAKITE, 1986, p. 46.)

En conclusion de ce paragraphe, nous ferons remarquer que ce n'est pas par la prolifération et la succession de coups d'État que les pays africains amélioreront leur situation ou se libèreront des maux dont ils souffrent. « Les injustices de toutes sortes, constate amèrement Fantouré, destinées à l'asservissement des peuples, principalement en cette époque, sont maintenues, à jamais immuables. Ce sont les puissants, eux seuls, qui améliorent leur situation. Depuis toujours, on a voulu briser les iniquités, on a toujours failli réussir, mais on a toujours également échoué, car au bout du chemin, les mêmes qui ont brisé les chaînes en ont tissé de nouvelles, plus atroces dans leur dureté. On a l'impression qu'on supprime des adversaires haïs pour mieux se réincarner en eux et les faire revivre d'une façon plus implacable » (M. A. FANTOURE, 1975, p. 20.)

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