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 Editions Sources du Nil  : Livres sur le Rwanda, Burundi, RDCongo

En quel pays veut-on pousser les Hutu à rentrer: à propos des opérations "Umojawetu" et "Kimya II"

27 Juin 2009 , Rédigé par Editions Sources du Nil Publié dans #Justice et Droits de l'homme

  Une partie du peuple rwandais, quinze ans après les massacres de 1994, et dix-neuf après le début de la guerre, n'a pas encore de place dans son pays ainsi que dans les projets des grands de la terre. En janvier-février 2009, au Nord-Kivu, en République Démocratique du Congo, l'opération « Umoja wetu » a vu l'armée rwandaise (RDF) et l'armée congolaise (FARDC) s'unir pour « traquer » les Hutu rwandais installés dans l'Est de la RDCongo et organisés en "Forces Démocratiques de Libération du Rwanda" (FDLR) pour les contraindre à rentrer désarmés au Rwanda. Maintenant c'est la traque au Sud-Kivu qui a commencé, dans le cadre de l'opération « Kimya II », pour ce peuple qui attend de rentrer chez lui dans la dignité et la tranquillité. Et la population congolaise paie encore une fois les frais d'une situation dont la solution n'est pas militaire, mais politique. Voici le témoignage et la réflexion d'un citoyen rwandais.


EN REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO


Après « Umoja wetu » au Nord-Kivu, « Kimya II, au Sud-Kivu

  Au Nord-Kivu, lors de l'opération appelée « Umoja wetu » (Notre union), déclenchée le 20 janvier 2009 et qui a pris fin officiellement le 25 février, il n'y a pas eu de combats entre les FDLR et la coalition rwando-congolaise. Les FDLR n'ont fait que des embuscades pour retarder l'avancée de la coalition et n'ont combattu qu'une fois, en février, à Katoyi, dans le territoire de Masisi, quand ils furent encerclés. Il y eut beaucoup de morts et de blessés du côté des troupes rwandaises et très peu du coté des FDLR. Alors que les autorités ont déclaré que l'opération Umoja wetu a eu un succès à 80%, les FDLR sont toujours là, seulement ils se sont déplacés plus à l'intérieur dans la forêt et ils se sont divisés par groupes. Peu d'entre eux sont rentrés chez eux.
 Actuellement, une opération analogue, préparée par l'arrivée de troupes nombreuses, appelée « Kimya II » (Silence), est déclenchée au Sud-Kivu. Officiellement, elle n'est réalisée que par les FARDC avec l'appui logistique de la MONUC1, mais les populations sont depuis longtemps inquiètes de voir dans ces troupes une forte présence rwandaise, fraîchement arrivée, et donc autre que les troupes du CNDP. Quant aux FDLR, ils sont décidés à se battre, s'ils sont attaqués, mais ils déclarent aux FARDC : « Nous avons épousé vos sœurs, comment pouvez-vous attaquer vos beaux-frères, vos sœurs, vos neveux ? Nous avons été appelés dans ce pays d'asile par Laurent Désiré Kabila, nous avons combattu avec vous contre les forces philo-rwandaises du RCD, nous avons même sauvé votre actuel Président des mains du FPR à Pweto, comment se fait-il que maintenant vous nous considérez vos ennemis ?
  Bien avant le début de cette deuxième opération, la population a commencé à souffrir des exactions des militaires FARDC, des incendies de villages, des viols, et même des massacres que la voix officielle attribue régulièrement aux FDLR, alors que, pour certains cas au moins, les témoignages disent autrement. Il y a les FARDC mal payés, il y a des gens corrompus par le régime de Kigali, il y a des RDF infiltrés, des groupes de bandits… leurs méfaits permettent de continuer à salir les FDLR, pour que l'opération bénéficie de l'appui de la Communauté internationale. Concernant les vols, il faut considérer que les réfugiés rwandais cultivaient, faisaient de l'élevage et vendaient leurs produits aux marchés ; contraints à fuir, ils sont restés sans moyens de survie.

Des opérations aux buts cachés

  Est-ce possible que les Rwandais auteurs des massacres de Congolais à Kasika, Makobola, Katogota pendant la guerre de 1998, puissent maintenant leur apporter la paix ? Rappelle-t-on que le 6 novembre 2008, plus de quatre cent congolais de 14 à 40 ans ont été massacrés par l'armée rwandaise de Laurent Nkunda à Kiwanja, au Nord-Kivu ?
  Ces opérations dans l'Est de la RDCongo ont des buts cachés que les Congolais découvriront par la suite. Sous prétexte d'« Umoja wetu », beaucoup de militaires rwandais sont entrées au Congo ; or, seulement un nombre très réduit a regagné son pays, tandis que les autres se sont mélangés au CNDP et ont intégré les FARDC. Des témoins signalent à Bukavu plusieurs entrées nocturnes, par la frontière ou à travers le lac, de militaires rwandais, qui par après prennent la direction de la forêt.
  L'année dernière, le Président Kagamé, en s'adressant à tous les jeunes, Tutsi et Hutu, ayant raté leur diplôme cette année-là, leur a dit : « Ne vous découragez-pas, la fin de l'école n'est pas la fin de la vie ! Je vais vous donner du travail ». Ils ont été « invités » à s'enrôler et ont suivi une formation militaire donnée par des gens des USA. Ils sont déjà entrés au Congo : une partie, mélangée à la Garde présidentielle de Paul Kagame, s'est dirigée vers la forêt, une autre est restée à Bukavu. Leur mission : assassiner et endosser la faute aux FDLR. Ils parlent les langues du Kivu.
  Ainsi se poursuit le dessein de renforcer la présence du Rwanda à l'intérieur des institutions congolaises, dans le but d'installer un pouvoir Hima au Congo. Comme certains Congolais se laissent corrompre, il est facile de leur faire la guerre. Ainsi, le projet d'annexer l'Est du Congo au Rwanda chemine-t-il vers sa réalisation.


AU RWANDA


Le sort des rapatriés

  Les rapatriés « volontaires », suite aux opérations « Umoja wetu » et « Kimya II »,  ce sont surtout des femmes, des enfants, des vieillards, que le Haut Commissariat de l'ONU aux Réfugiés (HCR) transporte au Rwanda. Là, après avoir passé quelques jours dans un camp de transit, ils sont envoyés vers leur colline d'origine, munis d'un kit d'insertion.
  Lorsque ces personnes quittent le camp, les autorités du camp demandent par téléphone à des gens du FPR se trouvant sur la colline de destination des rapatriés, s'ils acceptent leur arrivée. Si la réponse est négative, la police arrête ces personnes en route et les met en prison, en les accusant d'avoir participé au génocide. Certains rapatriés retrouvent leur champ ; et comme beaucoup de maisons ont disparu, la plupart d' entre eux ira habiter dans des maisonnettes que l'Etat a construites tout au long de la route.
  Les femmes réfugiées rentrant au Rwanda en provenance du Congo sont poursuivies, car, dit-on, lorsqu'on tue un serpent, il faut tuer aussi ses petits. Dans l'ex-Commune de Cyimbogo, les militaires ont faussement accusé et injustement emprisonné deux jeunes hommes, Niyibizi, fils de Rwanze Gushira, et Kazee, fils de Nyandwi. A cette occasion, le responsable d'Ibuka a prononcé des paroles qui ont effrayé la population : « Dans le temps, les Tutsi ont dominé les Hutu, et jusqu'à présent il faut qu'il en soit ainsi ! ».
  Quant aux combattants FDLR qui ont accepté de rentrer au pays, leur sort demeure incertain ; certains d'entre eux ont été emprisonnés. Les démobilisés du FPR et les démobilisé des FDLR ont des cartes différentes. Sur la carte de ces derniers il est écrit : « Il s'est séparé des rebelles ». C'est ainsi qu'il y a des retours au Congo de réfugiés rapatriés16.

Le gacaca continue

  Dans les prisons rwandaises, les prisonniers sont entassés sans pitié. Les prisonniers sont en train de périr en prison, depuis qu'on a suspendu l'assistance de leurs familles. Les arrestations continuent. Le « gacaca », la juridiction populaire qui juge les Hutu accusés de génocide, déclare viser vérité et réconciliation, en réalité c'est une justice de vengeance des Tutsi contre les Hutu, qui s'exerce avec l'appui financier et moral de la Communauté internationale. Gacaca aurait dû se terminer fin 2007, mais il a continué, en s'occupant des accusations concernant les dégâts matériels. Après avoir dépouillé autant que possible les Hutu de leurs biens, les rescapés corrompus sont en train de casser les jugements, pour qu'ils soient emprisonnés à nouveau.
  Ainsi, le gacaca reprend-il de plus belle. On cherche à juger de nouveau ceux qui ont été relâchés. En particulier, sont visés maintenant les fonctionnaires de l'ancien régime, qui jusqu'à présent étaient restés au pays sans être inquiétés, travaillant même pour le FPR. Au Rwanda toute personne qui réfléchit, qui peut partager avec d'autres ses réflexions devient un danger et on cherche à la mettre à l'écart. Le président Kagamé sait bien que la majorité des personnes arrêtées au Rwanda sous accusation de participation au génocide sont innocentes  Pendant qu'on les emprisonne, les tenants du pouvoir se protègent.
  Tout à fait récemment, Human Rights Watch a écrit une lettre au Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR), installé à Arusha, en Tanzanie, en lui demandant de s'occuper aussi des crimes commis par le FPR. Le Ministre rwandais de la Justice a réagi en disant que ce serait une tautologie, car les criminels du FPR, le Rwanda les a déjà jugés…


Se taire, mourir, ou devenir esclaves

  Les personnes ayant des parents ou des enfants à l'étranger, particulièrement réfugiés au Congo, sont persécutées, en vue de contraindre leurs membres de famille exilés à rentrer au pays. Les hommes chargés de recenser ces familles, demandent aux « nyumbakumi » de leur signaler s'il y a des opposants parmi les dix familles dont ces derniers sont chargés. La liste des opposants est transmise aux militaires, qui la nuit passent à coté des maisons de ces personnes visées, en écoutant leurs discours ou leurs échanges au téléphone. S'ils découvrent qu'elles parlent de leurs parents exilés ou avec eux au téléphone, ils les arrêtent. Celui qui sort de sa maison après 20h00 sera fortement battu.
  Choisis par le Président d'Ibuka, les « Intore » ont comme tâche fondamentale celle de terroriser la population en vue des élections présidentielles de 2010 et, en espèce, de donner les noms des familles ayant des frères au Congo et de les surveiller. Ils doivent donner rapport journalier sur tout ce qu'ils ont entendu derrière les portes. D'autres espions traversent le lac la nuit vers Bukavu pour capter des informations. Dans chaque cellule (qu'on appelle akagari), un homme, responsable d'un escadron de la mort, est chargé d'éliminer des opposants.

  Le 7 mai 2009 au secteur de Cyato, a eu lieu une réunion, dirigée par le premier responsable d'Ibuka, à laquelle n'ont participé que des Tutsi de père et de mère. Il y avait plus de deux cent personnes : les responsables d'Ibuka et les responsables des escadrons de la mort de chaque secteur. Ils ont tenu en synthèse ce discours : « Tous ces Hutu qui, selon vous, ont de mauvaises pensées, et ceux que vous voyez être forts, doivent avoir un dossier de participation au génocide et être arrêtés. Ceux qui ont des champs ou de l'argent, il faut les emprisonner rapidement, avant que les élections n'aient lieu. Nous arrêterons d'abord deux personnes par secteur, la semaine suivante nous en arrêterons quatre, après un mois, huit, et ainsi de suite, jusqu'à ce que tous soient arrêtés. Ils doivent faire pour nous  des travaux, tels que aménager des terrasses pour cultiver nos collines, cultiver, construire nos maisons. Les Hutu sont forts ; si nous ne les emprisonnons pas, nous ne pourrons pas les faire travailler pour nous comme « Tigistes ». Le gacaca doit donc recommencer, pour que ceux qui n'ont pas été emprisonnés, le soient, et que ceux qui ont été libérés puissent être à nouveau emprisonnés ».

Toute une population intimidée et appauvrie

  L'intimidation règne dans le pays. Chacun a peur d'exprimer son avis sur la situation même avec son proche29. En ce même mois d'avril, lors d'une visite à Byumba, le président Kagame a déclaré que celui qui n'est pas à mesure de suivre ses instructions, n'a qu'à partir, et que celui qui détourne les biens publics sera emprisonné. Or c'est le groupe qui gère le pays qui s'enrichit outre mesure. Dans les écoles, au moment de la recréation, les élèves tutsi se retrouvent selon leurs "familles", c'est-à-dire les élèves tutsi des classes supérieures. Leur chuchotement inquiète les élèves hutu. Des associations de nature ethnique ne vont pas dans le sens de la justice et la réconciliation.
  Bien que l'initiative généralisée de la « mutuelle de santé » garantisse désormais les soins primaires, l'écart entre riches et pauvres s'agrandit de jour en jour. A Kigali les maisonnettes des Hutu, la population pauvre, ont été détruites pour faire place à des villas, et cette population a dû partir à l'intérieur avec un maigre dédommagement. Aucun petit vendeur n'ose plus vendre aux bords des rues, et même beaucoup de petites boutiques ferment à cause des taxes trop élevées. Les paysans sont obligés de couper leurs bananeraies, sous prétexte qu'elles causeraient la malnutrition  ; alors que c'est par sa bananeraie que la famille trouve un peu d'argent liquide.
  Même parmi les Tutsi, les Banyamulenge, les originaires du Burundi, ceux qui ont toujours vécu au pays, tous ceux qui n'appartiennent pas au groupe de pouvoir venu de l'Ouganda, sont de plus en plus marginalisés. Tout celui qui veut être droit est menacé et mis à l'écart.

Un régime qui jouit de l'appui international

  Malgré cela, la Communauté internationale continue à utiliser deux poids et deux mesures et ne cesse d'appuyer le régime de Kigali. Les signes sont nombreux:
- Ces années de guerre depuis le 1er octobre 1990 ont vu beaucoup de sang versé d'un côté comme de l'autre : pourquoi identifier les uns aux victimes et les autres aux bourreaux, au lieu de promouvoir un processus de véritable reconstruction des faits dans la vérité et la justice, en vue de reconstruire ensemble le pays ?
- Pourquoi n'ont pas eu de suite les deux mandats d'arrêt lancés, l'un par le juge français Bruguière contre neuf cadres dirigeants du FPR, et l'autre par le juge espagnol Merelles contre quarante officiers parmi les principaux collaborateurs de Paul Kagamé ?
- Alors que le FPR Inkotanyi a utilisé des enfants pour s'emparer du pouvoir au Rwanda, comment se fait-il qu'aucune institution internationale ne l'ait inquiété jusqu'à présent ?
- Pourquoi le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR), censé enquêter tous les responsables du drame rwandais depuis octobre 1990 jusqu'à décembre 1994, ne vise que les Hutu ?
- Pourquoi les USA ont-ils longtemps appuyé le rebelle philorwandais Laurent Nkunda, dont l'armée, en deux ans de guerre au Nord-Kivu, a fait beaucoup de morts et presque deux millions de déplacés ?38
- Depuis la publication, en décembre dernier, du rapport onusien sur l'agression du Rwanda au Congo à travers les forces de Nkunda, les Pays-Bas et la Suède ont suspendu les aides budgétaires envers le Rwanda. Pourquoi les autres bailleurs de fond n'ont-ils pas voulu faire de même ?
- L'accord de décembre 2008 entre le président congolais Joseph Kabila et le président rwandais Paul Kagamé a fait à ce que Nkunda soit arrêté et que l'opération de la traque des FDLR commence en janvier 2009 au Nord-Kivu39. La Communauté internationale appuie cette opération et refuse d'écouter la voix des réfugiés hutu au Congo : on les « traque » : sont-ils tous des tueurs ? Que dire des enfants nés au Congo après l'exil, des jeunes qui étaient enfants en 1994, des femmes, des vieux et de tant d'adultes, qui ont été aussi victimes des malheureux événements rwandais ?

CONCLUSION

  Il est incompréhensible qu'on veuille rapatrier les Hutu par force, alors que certains de ceux qui ont été rapatriés sont en train de rentrer au Congo. On ne peut pas forcer quelqu'un à rentrer chez lui : c'est un crime et l'histoire le prouvera. Les Hutu rwandais au Congo veulent rentrer chez eux, mais ils ne peuvent pas être forcés au retour, alors que leurs conditions de sécurité et de dignité au Rwanda ne sont pas assurées.
  Leur retour, que ces opérations de guerre au Nord et au Sud-Kivu déclarent viser, se réalisera non par la violence, qui est en train de faire de nouvelles victimes et de nouveaux déplacés, mais par un changement dans le pays. L'unique solution pour ramener la paix au Rwanda est que les représentants de tous les Rwandais se mettent à une même table pour parler de l'avenir de leur pays, comme d'autres peuples ont fait, pour bâtir un pays où chacun se sente libre et protégé.
  Que la Communauté internationale évite de soutenir la criminalité contre les Hutu partout dans le monde et surtout à l'Est de la RDCongo, en considérant que les Hutu aussi ont été créés par le même Dieu que les autres êtres humains et ont donc droit à la vie, droit de revendication, droit d'expression, droit à l'assistance de tout genre.
  Que le Communauté internationale exerce une pression sur le gouvernement rwandais, afin que :
- se réalise un véritable dialogue interrwandais, en vue de bâtir le futur du pays dans la paix ;
- une amnistie générale soit accordée à tous les ex-FAR (l'armée du précédent régime) et même à tout le monde, pour que le peuple rwandais tout ensemble reconstruise le pays.
- un véritable multipartisme soit installé dans le pays, désormais à la veille des élections présidentielles de 2010, et qu'elles se passent dans la transparence et la liberté.

Fait dans la Région des Grands Lacs, le 10 juin 2009.
Mujyanama

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