Le pouvoir de Kigali peut-il changer?: la "Dream Team" pour vaincre Kagame
Billet d’humeur d’Eugène Shimamungu (Newsletter n°4)
Le test de l’élection présidentielle
L’approche de l’élection présidentielle, la deuxième pour un mandat de 7 ans, sous le pouvoir de Paul Kagame, s’annonce à nouveau sous de mauvais auspices. Il ne s’agit pas
actuellement de disparitions de hautes personnalités comme celle du député Léonard Hitimana (dont on parle plus) avant l’élection présidentielle de 2003, mais d’emprisonnements en début du mois
de juin 2009 de personne accusées de corruption (Kalisa Mupende, Directeur général à la présidence, Murenzi Janvier, directeur de l’administration et des finances et du Capt James Musekera chargé
de la logistique), sans parler du départ du sénateur Safari Stanley, qui après avoir été destitué, a décidé de prendre la poudre d’escampette avant le jugement du tribunal Gacaca de Butare qui
l’accuse d’avoir participé au génocide. Que dire d’Aloys Nsekalije qui lui-même est en train de comparaître devant la juridiction Gacaca ? Paul Kagame est-il en train de nous dire, ce que
l’on savait déjà, que son entourage est pourri, au moins autant que lui-même ? Safari Stanley a été un sénateur zélé contre ses camarades du MDR, détruit grâce à ses œuvres ;
l’inoxydable Colonel ex-FAR Aloys Nsekalije, alias « Macinya » (diarrhée), longtemps Ministre des Affaires étrangères du régime Habyarimana dont il a été le fossoyeur, pour mériter le
titre de conseiller personnel du Président Kagame. Pourquoi avoir octroyé à ces pourritures déjà mal famées des postes aussi importants ? Pourquoi avoir attendu 15 ans pour les destituer
alors que leur palmarès était déjà bien connu ?
On pourra arguer que les accusations portées contre ces hommes ont justifié les emprisonnements ou les comparutions devant le Gacaca, mais il s’agit d’une démonstration de force de la part du FPR et de son chef, pour signaler aux éventuels prétendants à la candidature pour la présidentielle qu’il est toujours là, qu’il est tout puissant, et qu’il ne compte pas organiser des élections pour les perdre. D’autant plus que Paul Kagame, craint, en cas de défaite, de ne plus être protégé par l’immunité qui jusque là le protège en tant que chef d’état et que l’immunité taillée sur mesure octroyée aux anciens chefs d’état (dont n’a pas bénéficié Pasteur Bizimungu) risque de ne pas fonctionner. Comme pour la dernière élection présidentielle en 2003, « l’issue de ces élections est connue. Ceux qui seront élus devront être des individus 100% en phase avec l’actuel agenda politique, destiné à construire le pays ». L’on sait que le suspens en 2003 n’a pas duré. Paul Kagame a promis d’ « écraser » et de « blesser » les adversaires qui se mettraient en travers de sa route. Tout prête à croire que le scénario sera identique pour les élections de 2010.
A l’issue de l’élection de 2003, il avait promis de donner aux leaders de l’opposition « le droit de s’exprimer (…) et de postuler aux prochaines échéances électorales ». Il faut bien dire que le droit de s’exprimer n’a pas été donné. La mise en scène spectaculaire de la fermeture de la BBC accusée de donner la parole à l’opposition et de propager l’idéologie génocidaire a montré les limites de la liberté de la presse et des médias en général au Rwanda. Cette mise en scène contre la BBC a même fait oublier que Tony Blair, l’ancien Premier Ministre britannique, était l’un des conseillers de Paul Kagame. Tolérerait-il la répression de la liberté de la presse dans un état du Tiers-Monde ? Depuis 2006, Radio France Internationale n’émet plus en Fréquence Modulée. Les journalistes ont été réprimés, emprisonnés, pourchassés, expulsés, expatriés etc. Le dernier en date est le Directeur du contestataire journal Umuseso qui vient de s’exiler pour cause de harcèlement policier du régime de Kigali. Car derrière tout cela il y aussi la loi réprimant « l’idéologie génocidaire », dénoncée par les Organismes internationaux comme Amnistie International et Human Rights Watch, qui fonctionne contre les opposants de tous ordres. Il va sans dire que cette loi sera fonctionnelle contre d’éventuels candidats à la présidence de la république.
« Ruhengeri boy » ou la contestation silencieuse.
La semaine dernière les Rwandais ayant accès à internet se sont passés en boucle un morceau qui s'annonce comme le tube de l'été, d’un jeune homme connu comme « Ruhengeri boy » surtout par son fort accent du Muréera (probablement tout près des Lacs Buréra et Ruhoondo). Le jeune homme engage une diatribe féroce contre les églises nouvelles qui interdisent toute sorte de boisson alcoolisée notamment la bière de bananes « urwáagwá », dont la fabrication artisanale risque, de surcroît, d’être interdite par les pouvoirs publics. D’aucuns ont cherché à trouver dans la phrase « kaanda amáazi urupfú rútari rwáaza » « prend un petit coup avant que la mort ne te surprenne » comme le « carpe diem » rwandais, mais certains amis avisés m’ont convaincu que cette diatribe n’était pas à proprement parler dirigée contre les églises nouvelles mais contre le pouvoir meurtrier de Kagame. Quand l’on sait que ce type d’églises se sont répandues au Rwanda à une vitesse exponentielle depuis la prise du pouvoir par le FPR en juillet 1994, et que cette interdiction de fabrication de bière s’inscrit dans une politique d’affamer les campagnes comme la destruction des bananeraies, décidément on sait à qui s’adresse la critique du jeune homme qui n’a trouvé d’autre audience que la rue, relayée par YouTube. Je ne suis pas en train de dire que le jeune homme est conscient du message subliminal de sa chanson, ou de son impact intellectuel, mais ce genre de critique voilée apparaît quand toute liberté d’expression est réprimée. Ainsi, réprimer la liberté d’expression, c’est comme fermer hermétiquement une marmite sur le feu. Celle-ci risque d’exploser à tout moment quand le couvercle ne laisse pas passer de vapeur.
A la recherche de la « Dream Team » pour vaincre Kagame
Dans cette adversité, l’opposition à l’intérieur du Rwanda, on n’en parle même pas. Celle de l’extérieur, quant à elle, part divisée pour cette élection 2010. Tandis que les FDU-Inkingi ont choisi de participer à l’élection présidentielle en attendant que des passeports leur soient octroyés (ce qui est loin d’être obtenu), les autres coalitions et partis politiques ont choisi de ne pas présenter de candidats. L’erreur tactique de Kagame serait de ne pas octroyer de passeports aux membres des FDU-Inkingi. Mais le comble serait que les autres partis politiques attendent les bras croisés que justement Paul Kagame ne fasse pas cette erreur pour pouvoir se moquer de leurs compatriotes dont certains feraient littéralement dans le froc, avant de renoncer au voyage sans retour. Le problème qu’il y a au départ est un problème de concertation sur les moyens à utiliser pour combattre le régime sanguinaire de Paul Kagame. A mon humble avis, la lutte uniquement politique n’aboutira qu’à une impasse quand l’on connaît l’expérience de Melchior Ndadaye au Burundi, premier président élu du Burundi aussitôt liquidé après trois mois d’exercice par la junte militaire tutsi. Le même scénario risque de se reproduire en cas de victoire d’un candidat de l’opposition. N’importe quel candidat de l’opposition, s’il n’est pas sûr de sa propre survie si jamais il arrivait à gagner, ne peut être crédible devant la population. Car il ne faut pas oublier que le peuple y joue également sa survie. En votant pour un candidat de l’opposition, plusieurs questions se posent dont celles-ci : les urnes seront-elles protégées contre d'éventuelles fraudes? La population pourra-t-elle voter librement sans l'accompagnement jusque dans les urnes par les Local Defense? Comment la population sera-t-elle protégée contre les exactions de la soldatesque acquise à Kagame, en cas de victoire de l'opposition?
Il est inutile même de faire campagne sans avoir répondu à ces trois questions. Pour y répondre ce n’est pourtant pas difficile, du moins sur le papier. D’un côté les partis politiques ceux de l’opposition à l’extérieur et ceux de l’intérieur qui ne font pas partie du forum des partis inféodés au pouvoir de Kagame, sans chercher à former un parti unique, devraient mettre en place des synergies qui leur permettent de fixer des buts à atteindre à moyen terme. Le fait que les uns participent et d’autres ne participent pas à l’élection présidentielle ne devrait pas constituer une pomme de discorde, mais plutôt comme une diversité d’opinions qui doit être renforcée par le soutien des uns aux autres notamment à travers des actions de lobbying, pour que cette élection soit réellement contrôlée par la communauté internationale afin qu’il n’y ait pas de fraudes. Aussi les leaders politiques devraient-ils comprendre que ce n’est pas encore le moment de la compétition pour un meilleur positionnement afin d’obtenir le meilleur poste en cas de victoire.
D’un autre côté les mouvements politico-militaires organisés en rébellions (FDLR, RUD-Urunana, FPR-Inkeragutabara), devraient s’aligner sous une bannière unique et changer le leadership exécrable, qui a réussi à les diviser et à paralyser un bon tiers des combattants dans des négociations qui se sont soldées par un échec cuisant. Non pas que la tentative était inutile, mais qu’elle était vouée à l’échec depuis le départ devant l’intransigeance du pouvoir de Kigali. Quels que soient l’actif et le passif des uns et des autres, le rassemblement de ces forces combattantes devrait servir d’appui aux partis politiques réunis derrière une sorte de cordon sanitaire contre le régime sanguinaire de Kagame. En revanche, les partis politiques devraient promettre à ces forces combattantes de les réintégrer dans la future armée rwandaise en cas de victoire de l’opposition. Ceci servirait d’assurance pour n’importe quel candidat à l’élection présidentielle, et ces forces combattantes ne seraient pas livrées à elles-mêmes dans la nature.
Eugène Shimamungu