Rwanda : le zèle des dirigeants de base nuit au vote libre
Albert-Baudoin Twizeyimana -
Source: Syfia Grands lacs
Pour remporter les prix promis par la Commission nationale électorale rwandaise, certains dirigeants locaux n'ont pas hésité à contraindre leur population à aller
voter et à cotiser pour décorer les bureaux de vote. Ce que certains observateurs considèrent comme une violation des lois électorales.
Les chefs de villages (umudugudu), entité administrative de base au Rwanda, se sont acharnés, avant et pendant le scrutin du 9 août dernier, à encadrer et orienter
les votants. C'est ce qu'affirme la Ligue des droits de la personne dans la région des Grands Lacs (LDGL), dans son rapport provisoire sur l'observation des dernières élections présidentielles,
remportées par Paul Kagame (93,08 %), candidat du FPR, le parti au pouvoir.
"Certains responsables avaient leurs registres dans lesquels ils vérifiaient les noms de ceux qui avaient voté et ils appelaient des retardataires", rapporte la
LDGL qui constate que le fait de "constituer des bureaux de vote sur la base d'umudugudu, peut entamer, dans une certaine mesure, le caractère secret du vote, car le chef de village peut repérer
facilement ceux qui n'ont pas voté."
"Tous ces élus locaux étaient en compétition pour remporter les prix promis par la Commission nationale électorale (CNE), explique un politologue de Kigali. Chacun
était déterminé à encourager tous ses électeurs à voter." En effet, le taux de participation de la population était un des principaux critères de la CNE qui, pour octroyer ces prix, jugeait aussi
la participation à l'éducation civique, le décor des sites et bureaux de vote…
"Enfreindre les principes du vote libre"
Sitôt les élections passées, les trophées et les certificats de mérite ont été décernés aux instances de base qui ont excellé. Le secteur Kabatwa du district de
Nyabihu, ouest du Rwanda, a ainsi reçu son prix le 7 septembre, car 100 % de ses électeurs avaient voté.
"Nous nous sommes partagé notre population. Chaque collègue avait un nombre d'habitants de notre umudugudu qu'il devait suivre de près et inciter à aller voter le
plus tôt possible pour terminer cette action citoyenne à temps", se vante, fou de joie, un responsable du secteur Kabatwa. D'autres, qui ont atteint des chiffres records de participation comme le
district de Gasabo, ville de Kigali (99,76 %), Rutsiro, Ouest, (99 %), Musanze, Nord, (98,2 %)… ont aussi eu droit à leurs prix.
Pour être les meilleurs, les dirigeants locaux ont également contraint leurs habitants à cotiser pour la décoration des bureaux de vote. La CNE était pourtant
intervenue pour les mettre en garde, "car la construction des bureaux de vote leur incombe". Très en colère, un observateur de la plateforme de la société civile souligne que "ces prix ont été la
cause du zèle des élus locaux, ce qui les a poussés à enfreindre les principes du vote libre."
Mais le ministère de l'Administration locale ne partage pas cet avis. "Il se peut que certains responsables des entités de base aient contraint les gens à aller
voter, mais ce n'était pas une instruction générale. Cela peut relever de l'engagement des personnes et non du système", estime un des responsables de ce ministère.
Les contrats de performance avant tout
Pour bon nombre de dirigeants locaux, la mobilisation des habitants de leurs entités à tous les programmes du gouvernement rentre dans les contrats de performance
que, depuis cinq ans, chaque responsable – du chef de famille au maire de district en passant par les secrétaires exécutifs des cellules et des secteurs – doit signer avec son supérieur. Les
maires de districts eux le font avec le président de la République.
"Une bonne partie des dirigeants locaux font le pari d'atteindre différents objectifs à 100 %. Nombre de ces engagements restent au niveau des ambitions. C'est pour
cela qu'ils utilisent la contrainte même dans ce qui est visiblement impossible à réaliser", estime ce politologue.
Pour la majorité des autorités de base, cette compétition reste une particularité et une fierté des Rwandais. Mais certains essaient de respecter leurs engagements
à marche forcée. "De peur de perdre mon poste pour avoir été coté le dernier, je me suis obligé à passer de porte en porte pour dire aux habitants de mon village d'aller accomplir leur devoir
civique. Moi j'y suis allé le dernier en étant sûr que tout le monde était passé", témoigne un responsable d'umudugudu dans la province du Nord.
Certains villageois ont du mal à suivre, mais ils n'ont pas le choix. "Les sanctions pour ceux qui n'honorent pas leurs engagements restent au niveau du blâme
public", explique un dirigeant de Muhanga, Sud. Mais les élus qui se montrent peu performants sont eux contraints à démissionner. La peur de se voir blâmé ou destitué les pousse à faire du zèle.
"Ceux qui ne s'exécutent pas, déclare un responsable dans la province du Nord, peuvent être considérés comme voulant boycotter les programmes du gouvernement."