Nord Kivu : Le M23 verrouille l’information
Source: L'Observateur
Dans le territoire de Rutshuru, à moins de 100 km au nord de Goma, capitale du Nord-Kivu, le M23 contrôle étroitement les radios locales. Les habitants ne savent pas où en est le conflit. Mais, pour gagner leur confiance, les rebelles veillent à leur sécurité.
En ce 24 août, une ambiance inhabituelle règne dans les rues de Kiwanja, dans le territoire de Rutshuru, à 72 km au nord de Goma. A 17 heures, toutes les boutiques ont fermé leurs portes.
L’artère principale se vide. Après un tour en ville, je me retrouve presque seul dans cette rue. Parmi les rares personnes qui me dépassent, aucune ne semble vouloir s’attarder. Deux chars de la
Monusco ont patrouillé quelques heures dans les rues avant de disparaître. "Quoi, tu ne sais pas ce qu’il y a ?", me lance, d’un ton sec, un passant auprès de qui je me renseigne. J’insiste,
alors il sort de sa poche son téléphone portable et me montre un SMS qu’on lui a envoyé. Il est écrit en swahili : "Bamepigana Leo Asubui Tume perdre 2 Commando na 3 blessés, Abo Bame Pitisha
Fuso Muko Maiti zabo na Ba blessés mais hatujuwe nombre. Soyons prêts, binaanza !!!! " ("Ils se sont encore affrontés ce matin, nous avons perdu deux commandos FARDC et il y a trois blessés. Eux
viennent de faire passer un véhicule de marque Fuso transportant des morts et des blessés mais le nombre n’est pas connu. Les combats reprennent de nouveau, soyons prêts !"). Du coup, je prends
peur et rentre précipitamment chez moi.
Je téléphone alors à un officier FARDC situé à Rwindi, à près de 40 km au nord des zones où sont signalés ces combats. "En effet, il y a eu ce vendredi 24 un échange de tirs entre nos unités en patrouille et des éléments du M23 aux alentours de Mabenga, en plein parc national des Virunga", confirme-t-il sans donner de bilan.
Médias muselés
L’anecdote est significative du manque d’information dont pâtissent les populations des régions sous tutelle du M23. Depuis la prise de Rutshuru-centre et Kiwanja, le 25 juillet dernier, les radios locales sont étroitement contrôlées par les rebelles. "Nous ne pouvons pas diffuser ou donner la parole à la partie gouvernementale. Toutes les informations de ce genre sont passées sous silence. Nous faisons très attention dans nos journaux parlés. Dernièrement, nous avons osé faire passer un reportage d’un confrère de la Radio télévision nationale congolaise (RTNC). Et il nous a coûte deux heures d’explication devant les responsables du M23", explique un journaliste d’une radio locale. Les habitants sont mal informés, et seul le bouche à oreille, avec tous ses travers, fonctionne à plein : à propos d’éventuels affrontements, ou du retrait d’éléments du M23, ou du retour de l’armée loyaliste qui gagnerait du terrain… "Nous attendons que la radio dise au M23 qu’il leur est accordé 48 heures pour se retirer d’ici", ironise un groupe de vieux assis autour d’un poste de radio.
Crainte du retour des combats
Les habitants, dans cette situation confuse, ne souhaitent qu’une chose : ne plus connaître de combats. "Nous ne voulons plus revivre la situation du 25 juillet dernier. Ce jour-là, nous avons passé toute une journée sous les tirs. Même ceux qui étaient partis s’abriter du côté de la Monusco ont essuyé les balles. Comme elle est aussi engagée dans les combats en appui aux FARDC, elle était considéré comme ennemi par les rebelles ce jour-là", se rappelle un habitant de Kiwanja. "Je souhaite le retour des FARDC, mais sans combat", espère-t-il.
De leur côté, pour se rapprocher d’une population méfiante, le M23 a institué depuis mi-août des comités locaux de sécurité. Objectif : dénoncer tout dérapage des troupes rebelles et signaler les cas d’insécurité enregistrés dans la région sous contrôle du M23. Ces comités sont constitués de chefs de quartier et de certains leaders de communauté. Selon un cadre du M23, ils ne sont pas censés remplacer l’administration locale : "Ils nous aident à concilier les gens en conflits et ramassent les effets militaires abandonnés par les FARDC. Ils peuvent aussi dénoncer des personnes suspectes tant militaires que civiles. Ils plaident également pour des personnes innocentes arrêtées." Auparavant, un climat de psychose régnait à Kiwanja et Rutshuru-centre, à cause, notamment, de la mort de deux femmes tuées, dans des maisons différentes, par des inconnus début août, et des tirs sporadiques à l’arme automatique presque chaque soir à Kiwanja. Deux semaines plus tard, ces tirs ont cessé. Mais les habitants voudraient être sûrs de ne plus les entendre à nouveau.
Syfia Grands Lacs/L'Observateur