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 Editions Sources du Nil  : Livres sur le Rwanda, Burundi, RDCongo

Les tribunaux rwandais sur la sellette

19 Avril 2012 , Rédigé par Editions Sources du Nil Publié dans #Justice et Droits de l'homme

Source: Radio Nederland Wereldomroep

Alors que le Rwanda se prépare jeudi à recevoir son premier suspect venant du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), un drame captivant est en train de se dérouler au sein d’un tribunal du pays. De nouveaux éléments survenus dans le procès de Victoire Ingabire, la leader de l’opposition, peuvent être déterminants pour la crédibilité des tribunaux nationaux. Le Rwanda est-il en mesure de juger lui-même ses suspects les plus recherchés dans les affaires du génocide ? Victoire Ingabire s’est retirée de son procès cette semaine. Raisons suffisantes pour se poser un certain nombre de questions sur le système judiciaire rwandais.

Par Steve Terrill, Kigali

Après avoir affirmé lundi qu’elle boycottait son procès, madame Ingabire est réapparue au tribunal mercredi. Affirmant que ce serait sa dernière visite au prétoire, elle venait uniquement s’informer sur la manière dont son procès allait se dérouler sans sa présence. Aucun avocat de la défense n’était présent dans la salle. Par ailleurs, les sympathisants de Victoire Ingabire ont décidé de boycotter les débats.

Alice Rulisa, la présidente des juges, a affirmé que le procès allait continuer. La juge s’est prononcée contre la demande des procureurs qui voulaient obliger la défense à paraître au tribunal et nommer un juge "spécial" pour représenter Victoire Ingabire et son équipe.

Témoins
Depuis lors, les procureurs avancent que Victoire Ingabire "projetait son retrait depuis longtemps" et que "sa défense était achevée". Mais les avocats de la défense affirment le contraire et peuvent appeler d’autres témoins capables de fournir des preuves. Le tribunal a suspendu le chef d’accusation "idéologie de génocide" alors que la Cour suprême est en train de revoir le caractère constitutionnel de la loi controversée de 2008 à ce sujet.

Le drame judiciaire a débuté au moment où un témoin à décharge isolé a rejeté la validité de la plupart des crimes dont Victoire Ingabire est accusée. L’ancien porte-parole des FDRL (Forces démocratiques de libération du Rwanda, n.d.l.r.), Michel Habimana, qui purge une peine à vie à Kigali pour génocide, a affirmé à la cour que le témoin-clé de l’accusation, Vital Uwumuremye, était un imposteur. Il aurait, selon lui, collaboré avec les services secrets rwandais pour fabriquer de toutes pièces des charges contre l’accusée. Habimana a affirmé qu’on l’avait également approché pour qu’il fournisse un faux témoignage, ce qu’il a refusé.

Le soir après la première parution d’Habimana, et avant que celui-ci ne retourne le lendemain au tribunal pour poursuivre son témoignage, certains responsables de la prison rwandaise sont allés le voir dans sa cellule pour chercher des preuves. Après avoir trouvé les notes qu’il avait prises pour préparer son témoignage, les policiers ont interrogé Habimana, à huis clos, sans avocat et sans en informer les juges.

Prison
Au tribunal, l’avocat de la défense, Gatera Gashabana, a souhaité poser des questions à Habimana sur cet interrogatoire et sur d’autres irrégularités, mais le tribunal n’aurait pas répondu à sa requête.

"Nous ne voyons pas en quoi cela avance votre client", a crié la juge Rulisa à Gashabana, tout en frappant de son marteau. Ensuite, elle fit sortir Habimana du tribunal et le renvoya dans sa prison.

C’est à ce moment-là que Victoire Ingabire s’est levée, affirmant qu’elle "ne pouvait plus continuer ce procès."

 


Transfert
Le drame a pris un autre visage ce mardi à La Haye. Les avocats de Jean-Bosco Uwinkindi, accusé de génocide et ancien détenu du TPIR, ont déposé une motion visant à bloquer le transfert de leur client. Dans cette motion, les avocats de l’ancien pasteur accusé d’avoir fait la chasse aux Tutsi ont établi clairement un lien avec les événements de l’affaire Ingabire de la semaine passée.

Le TPIR ne s’est pas prononcé sur cette motion et, à moins que le tribunal l’en empêche, Uwinkindi sera transféré au Rwanda dans la journée de jeudi.

Les procureurs ont depuis fait circuler l’idée parmi les journalistes locaux que le drame qui se jouait dans l’affaire Ingabire était une conspiration initiée par son avocat britannique, Iain Edwards, également avocat représentant Uwinkindi au TPIR.

"Victoire Ingabire crée un incident ici, et dans l’espace de quelques heures, un avocat dépose une motion à Arusha sur l’incident arrivé au Rwanda". Le procureur général du Rwanda Martin Ngoga s’est adressé aux journalistes lors d’une conférence de presse destinée à relater les récents événements. "Nous doutons du timing. Nous doutons des motifs."

Aucune emprise
Mais Edwards rejette toute implication dans un tel complot. Il qualifie cela de "ridicule, impossible et désespéré."

"Je n’avais aucune emprise sur les procureurs et je n’avais aucun moyen de leur faire mener un interrogatoire parallèle d’un témoin en dehors du tribunal," affirme Edwards à Radio Nederland. "La motion qui a été déposée à Arusha se base sur la conduite des procureurs et des responsables de la prison, pas sur le retrait de ma cliente à son procès."

Un autre avocat de la défense, qui a travaillé au TPIR mais qui requiert l’anonymat de crainte d’être entravé dans ses activités au Rwanda, déclarait que les récents événements ont confirmé ses pires craintes.

"L’accusation et la cour sont en train de confirmer les craintes de ceux qui s’opposent aux transferts au motif que le pouvoir judiciaire n’a aucune objectivité ni indépendance quand il s’agit d’adversaires ou de génocidaires présumés", déclarait-il au micro de Radio Nederland. "Ce qui est plus important encore, c’est que c’est en contradiction avec les conclusions sur lesquelles la Chambre d’appel du TPIR s’est appuyée pour autoriser le transfert d’Uwinkindi."

Indépendance
Alors que l’indépendance du pouvoir judiciaire est un sujet de préoccupation au Rwanda, le procureur général Ngoga annonçait mercredi le transfert officiel du dossier de l’affaire de Charles Sikubwabo, un génocidaire recherché, du TPIR au Rwanda. Le transfert de cette affaire est moins controversé parce que Charles Sikubwabo est encore en liberté, mais Ngoga a déclaré qu’elle était néanmoins importante.

"Il y a une autre affaire dans laquelle le suspect est encore en cavale, mais elle est aussi importante que tout autre affaire au TPIR. En voyant comment nos efforts sont couronnés de succès, nous avons tout lieu de croire que nous réussirons probablement avec les autres affaires", déclarait Ngoga à la presse. "Aucun des pays membres des Nations unies ne devrait remettre en question l’indépendance du pouvoir judiciaire du Rwanda parce que ce sont eux qui ont créé le tribunal (TPIR – ndrl) pour qu’ils puissent évaluer la situation et ce tribunal a confirmé l’indépendance du pouvoir judiciaire rwandais."

Tous les regards seront braqués aujourd’hui sur l’aéroport international du Rwanda pour voir si Uwinkindi arrive ou pas. De toute façon, l’affaire Ingabire va reprendre lundi.
 

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