Léonce C. Muderhwa donne le bilan de 18 mois à la tête du Sud-Kivu
Les Coulisses : Presque 18 mois que vous êtes à la tête de la province, quel bilan Léonce Muderhwa peut-il donner au public en termes de réalisations ?
Louis Léonce Chirimwami Muderhwa : Bilan ? Après 18 mois à la tête de la province, nous avons reçu mandat ; et ce mandat est lié aux objectifs contenus dans notre programme adopté en 2008 et 2009. Globalement, le bilan est positif.
Au plan politique, nous avons trouvé près de 16 groupes armés nationaux et 2 groupes armés étrangers à notre arrivée. A l’heure actuelle, il n’y a presque plus de groupes armés. Nous sommes en train de finir la phase de toilettage, de ratissage là où se trouvaient les FDLR. Le dernier groupe armé étranger, le FNL a quitté la province et les Maï Maï ont intégré les FARDC.
Au plan du banditisme inter urbain, nous enregistrions en moyenne plus de 25 assassinats par semaine ; aujourd’hui, ce chiffre est tombé à moins de 2 à 3 assassinats par mois.
L.C. : Et pourtant M. Le Gouverneur, dans son dernier mémo, la Société civile du Sud Kivu parle et relève des cas de « terrorisme » notamment à Bukavu. N’est-ce pas grave ?
L.C.M. : Oui, la société civile a tiré une sonnette d’alarme parce qu’il y a eu multiplicité d’assassinats liés naturellement à la circulation désordonnée des hommes en armes et au fait que nous sommes en pleine opération militaire. Ce sont des effets connexes des groupes engagés lorsqu’il y a ce genre d’opération. Parce qu’il existe des groupes qui, soit fuient le front soit sont dans une situation absolument irrégulière qui les contraignent à assassiner les gens. Mais, en terme de terrorisme, je ne sais pas qui terrorise réellement. En tout cas pas les FARDC. Les Fardc sont engagées dans deux phases, celle des opérations Kimia II et dans celle de la réforme de l’armée avec le recensement, le reclassement et toute la réorganisation de l’armée.
L.C. : Selon une certaine opinion, l’opération Kimia II est un échec. Partagez-vous cet avis ?
L.C.M. : Je ne peux pas partager une pareille opinion dans la mesure où elle n’est pas une opinion de nos mamans qui sont dans des villages. Ce n’est pas l’opinion de nos parents qui vivent dans les zones occupées par les FDLR. Les populations de Mwenga et de Fizi accueillent de façon tout à fait positive les opérations Kimia II et brûlent d’impatience de voir lesdites opérations voler de succès en succès. Les opérations Kimia II ont ceci de particulier qu’il n’y a presque pas de morts civils qu’on peut attribuer aux FARDC depuis les opérations à Mwenga, Shabunda, Walikale. Et ça ce sont des choses qu’on ne dit pas souvent.
L.C. : Selon vous, quels sont les dividendes tirés desdites opérations à court terme ?
L.C.M. : A ce jour, ces opérations ont permis de déstabiliser tout ce qu’il avait comme centre de formation des FDLR, comme sanctuaire de ces génocidaires. Aujourd’hui, les centres économiques, les carrières de cassitérite et de coltan, les carrières d’or où ces FDLR faisaient la loi sont sous contrôle des populations civiles et de l’administration de l’Etat congolais. A ce jour, les FDLR sont complètement dispersés. 90% d’entre eux ont quitté réellement la province et le reste fait la guérilla en groupe de deux, trois, cinq … esseulés et totalement éparpillés dans les 8 territoires.
L.C. : M. Le Gouverneur, il existe une autre préoccupation d’ordre sécuritaire, le retour des réfugiés congolais qui se trouvent au Burundi. On les boude. Pourquoi ?
L.C.M. : Le retour des Congolais qui sont au Burundi doit obéir à des procédures. Quand on a accepté d’être réfugié et qu’on a été identifié par le HCR, il faut, quand on veut retourner au pays, que le HCR puisse entrer en pourparlers avec le gouvernement de la RDC afin de mettre en place des dispositions pratiques de leur accueil. Nous gardons contact avec nos compatriotes, nous les incitons même au retour le plus urgemment possible mais ce retour doit être un retour organisé. Un retour organisé passe par le recensement, la préparation des sites d’accueil et par la réinsertion sociale. Il ne suffit pas de rentrer mais encore faut-il faire quelque chose dans le pays d’accueil.
L.C. : M. Le Gouverneur, une jeunesse non encadrée est une bombe à retardement. Comment envisagez-vous encadrer la jeunesse du Sud-Kivu ?
L.C.M. : Tout d’abord, la jeunesse du Sud-Kivu n’est pas une bombe à retardement. Elle ne pourra pas l’être car elle constitue pour nous un centre d’intérêt important. Nous devons aller de plus en plus dans la conscientisation, dans la pédagogie pour aboutir à un véritable patriotisme. Pour la jeunesse non organisée, nous comptons démobiliser les enfants de la rue grâce à un programme de leur insertion. Nous récupérons notre centre de rééducation à Nyangezi non loin de Bukavu avec cette ambition de mettre ces jeunes dans un programme de formation et de réinsertion sociale.
Volet économique dans la province
L.C. : M. Le Gouverneur, comment évoluent les 5 chantiers dans le Sud-Kivu ?
L.C.M. : Relativement bien. Nous avons dans le cadre de divers programmes plusieurs chantiers au niveau des infrastructures : un tronçon de l’axe Bukavu – aéro Kavumu est déjà asphalté, la RN2 Bukavu – Mwenga – Kamituga – Kasongo déjà réceptionnée par les Chinois pour une partie dans le cadre du programme du Gouvernement et dans une seconde partie dans le cadre du contrat chinois. L’urbanisation de Bukavu a déjà commencé avec la construction de plusieurs kilomètres dans différentes communes de Bukavu.
L.C. : Hier vous étiez à la Ruzizi II, était-ce pour le chantier électricité ?
L.C.M. : Oui, nous venons de commencer un programme de réfection et de réaménagement du groupe 4 de la centrale hydro électrique de Ruzizi I en envisageant un programme d’investissement à moyen et long terme qui passe par la mobilisation des fonds au niveau de l’Union européenne et de la CEPGL pour la construction de Ruzizi III d’une capacité de 520 mégawatts.
Ceci pour disponibiliser de l’énergie à bon marché dans la région. Le gouvernement provincial prend des dispositions pour arriver à stabiliser la desserte en électricité par la lutte contre le délestage notamment à travers des groupes thermiques.
L.C. : M. Le Gouverneur, n’est-ce pas que l’évolution de la démographie galopante déjoue déjà vos pronostics pour Bukavu ?
L..C.M. : La ville de Bukavu a été construite pour 250 mille habitants mais à ce jour, on est passé à plus de un million cent mille habitants. La plupart étant des déplacés fuyant des exactions dans les milieux reculés, dans nos villages.
Oui, la démographie, c’est aussi un facteur dont on tient compte. Actuellement la consommation de la ville en électricité est à peu près de 40 mégawatts. Or, nous produisons 28 mégawatts. Nous sommes en déficit total. Avec le groupe 4, nous aurons 8 mégawatts supplémentaires. mais il n’y a jusque là que la consommation domestique. Le projet à long terme vise à inciter les investissements au Sud-Kivu.
L.C. : Mais, le Sud-Kivu, c’est aussi les minerais qui s’évaporent dans les pays voisins au bénéfice des multinationales. Comment renflouer les caisses de l’Etat à travers ce secteur ?
L..C.M. : Par la mise en œuvre et la mise en place de la Direction provinciale de Mobilisation des Recettes, par un contrôle rigoureux du secteur minier et par l’identification des creuseurs, des propriétaires des sites où sont exploités artisanalement ces minerais. La stratégie, c’est d’insister pour la création de nouveaux comptoirs lorsque nous sommes dans l’artisanat ; des comptoirs renforcés en capacité à la fois par des techniciens et par le gouvernement pour en faire de vrais partenaires. Les amener à adhérer tout compte fait au programme de ……………… par la population de ce qu’ils paient à l’Etat, la publication des recettes générées et pourquoi pas des richesses qu’ils produisent parce qu’ils sont des opérateurs économiques.
S’agissant de l’exploitation industrielle, la Société BANRO entame la phase de production par l’implantation d’une usine de production de l’or. D’ici la fin de l’année, il y aura un atelier sur les politiques minières au Sud-Kivu financé par la Banque mondiale, le programme de renforcement des capacité en …………. ; qui produira des recommandations mais également nous mettrons à la place publique toute l’information minière du Sud-Kivu.
L.C. : Que dites-vous de l’opinion qui décrie l’évaporation des richesses de la province ?
L.C.M. : Je ne suis pas d’accord avec cette opinion internationale qui exagère. Il est vrai que les FDLR, hier, occupaient les carrières de cassitérite, de coltan, de niobium, wolframite, de l’or, … aujourd’hui nous soulignons que ces interahamwe sont complètement dispersés et n’ont plus le temps de s’activer paisiblement aux activités minières et rurales. Ils font des incursions pour une ou deux minutes juste pour ravir ce qu’il y a et fuient dans la forêt. Voilà pourquoi je dis que cette opinion dessert le Sud-Kivu en ce que les opérateurs économiques voient p.e. leurs marchandises bloquées ou refoulées à l’extérieur. Ce qui constitue un manque à gagner pour l’économie de la province. Nous devons donner une image positive de la province car elle est réellement positive.
Autrement, parler négativement de sa province, de son pays c’est se faire peur à soi-même. Or, lorsqu’on se fait peur, on ne produit plus. Je suis conscient qu’il y a eu des exactions mais je suis déterminé à mettre fin en disant tout haut qu’il faut punir, il faut renforcer notre justice et notre police nationale. Nous devons nous engager à sortir notre province de cette mauvaise réputation.
La RDCongo et ses 2 voisins : la CEPGL
L.C. : De nombreux Congolais ont peur de la CEPGL face à deux petits Etats surpeuplés qui risquent de déverser leurs citoyens chez-nous. Crainte légitime ou hallucination ?
L.C.M. : Je leur réponds qu’ils ne connaissent pas la CEPGL et qu’ils doivent commencer par s’imprégner de véritables objectifs de la CEPGL et de ses statuts mais surtout de la vision de la CEPGL. C’est une vision intégratrice de nos communautés économiques, socio-culturelles …
L.C. : Cette vision a existé depuis Mobutu et le Zaïre. Mais ils nous ont quand même fait la guerre. Cette crainte n’est-elle pas légitime ?
L.C.M. : La guerre, disons-le, n’est plus à l’ordre du jour. Elle appartient au passé. Nous devons travailler dans cet état d’esprit de construire une nouvelle nation forte et prospère au cœur de l’Afrique. Le pays et son peuple, nous sommes voués à un grand destin. Et lorsqu’on n’a pas conscience de cette réalité, il devient difficile de sortir de cette peur.
Notre leadership a pour stratégie de redonner confiance et espoir au peuple congolais, au peuple du Sud-Kivu. Ce sont des hommes qui ont détruit le Congo, ce sont les hommes qui ont mis feu sur le Congo. Nous disons que nous sommes des hommes et nous pouvons éteindre ce feu-là et faire renaître le Congo de ses cendres, le Sud-Kivu de ses cendres parce que nous sommes voués à un grand destin.
Comment ? En adhérant à la vision du président de la république à travers les 5 chantiers exprimés et mis en œuvre par le gouvernement et les programmes sectoriels des gouvernements provinciaux.
L.C. : Crainte légitime ou hallucinations des Congolais ?
L.C.M. : Je crois que vous êtes en train de parler du Rwanda. Il n’est pas interdit de s’ouvrir au Rwanda. Le Sud-Kivu est 3 fois plus grand que le Rwanda, 10 fois plus riche que le Rwanda mais le Rwanda à lui seul mobilise près de 10 milliards U$ par an là où la province du Sud-Kivu est incapable d’avoir un budget de U$ 100 millions. Nous sommes des Petits Etats sans le dire et comment expliquer cette peur pour le Rwanda ? Nous devons nous ouvrir au Rwanda. Nous devons prendre conscience de nos richesses. Elles sont d’abord immatérielles : la grandeur d’âme et la propension à la paix. Certes nous héritons d’un système chaotique, désuet et archaïque. Le Président de la république a initié une série des reformes qui vont créer des conditions de modernisation de la vie des affaires au Congo et ouvrir le Congo aux investissements étrangers. Il y a une interpellation du côté des dirigeants.
L.C. : M. Le Gouverneur, qu’est-ce qui attire Joseph Kabila dans le Sud-Kivu au point d’y venir régulièrement ?
L.C.M. : L’amour spontané des populations du Sud-Kivu envers sa personne, l’attachement du peuple du Sud-Kivu à sa personne mais surtout le président de la république est très frappé par la destruction, la dégradation des infrastructures socio-économique de la province. Il est habité par la conviction de vite faire quelque chose pour ramener la paix au Sud-Kivu. Il est en train de réaliser l’engagement pris en ce sens d’aller partout où est exigée la paix. Il est allé au Rwanda, en Ouganda. Il a le souci de savoir comment vivent les populations de Fizi, Shabunda, Uvira, Mwenga, Walungu, Kabare, Kalehe, Bukavu et comment elles vivent le nouveau matin par rapport aux matins de triste mémoire.
L.C. : M. Le Gouverneur, on ne peut parler du Sud-Kivu sans faire allusion aux violations massives des droits de l'homme. Quelle est la situation des droits de l’homme chez-vous ?
L.C.M. : Il y a des exactions, c’est vrai ; il faut lutter contre ça. Et nous nous sommes engagés. Nous sommes en train de construire des camps de militaires au camp Saïo où nous abriterons 2 brigades. Dans le cadre de STAREC, nous construisons des casernes pour les policiers dans tous les 8 territoires, des bureaux de la police nationale un peu partout, nous renforçons la justice et avons sollicité et obtenu du gouvernement central le déploiement de nouveaux magistrats. La moitié est arrivée. Nous conscientisons nos populations à de meilleures pratiques. Mais les viols, ce sont les conséquences de ce qui est arrivé. Un jeune recruté à 9 ans en 1998 et qui n’a connu que drogue, viol avec son arme, démobilisé à l’âge de 20 ans et réintégré dans un contexte d’ordre établi où il existe des lois et des limites qu’il n’a pas connues, ajouté à cela la pauvreté généralisée, ce sont là les conséquences de ce que nous avions semé.
Nous sommes du côté de la Société civile pour dénoncer ces viols, ces violations massives des droits de l’homme. Ça ne doit pas être l’apanage des ONG. Qu’est-ce qui vous empêche de dénoncer ? Pensez-vous qu’ils sont mieux outillés que vous ? C’est ce qui contribue justement à donner de clichés tout à fait mitigés de la province et du pays parce que vous ne jouez pas votre rôle. Nous conjuguons des efforts pour que cela cesse. Ce combat est à la fois national et communautaire.
Entretien réalisé à Bukavu
par Nicaise Kibel’Bel Oka
ce 22 novembre 2009