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 Editions Sources du Nil  : Livres sur le Rwanda, Burundi, RDCongo

Le père Munyeshyaka à nouveau dans l'oeil du cyclone au lendemain de la visite de Sarkozy au Rwanda

26 Février 2010 , Rédigé par Editions Sources du Nil Publié dans #Justice et Droits de l'homme


DROIT DE RÉPONSE

Le Monde a publié, dans son édition datée du 25 février 2010, sous la signature de Catherine Simon, un long article intitulé « Le Père rwandais Wenceslas Munyeshyaka semble couler des jours paisibles en France. Malgré le mandat d’arrêt du Tribunal Pénal International : Un étrange miraculé », article qui m’est consacré.

Cet article qui me met gravement en cause appelle de ma part un certain nombre de réponses et rectifications.


En premier lieu, le Tribunal Pénal International a estimé que la justice française était saisie de l’affaire et n’a pas souhaité engager à mon encontre de procédure de jugement à Arusha.
En 2007, cependant, le TPIR a délivré à deux reprises à mon encontre deux mandats de remise.
Ceux-ci étaient destinés à ce que je sois présenté devant une chambre du Tribunal Pénal International pour être renvoyé devant la juridiction française qui m’avait déjà mis en examen.
A deux reprises, la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris a considéré que ces démarches n’étaient pas juridiquement fondées et a rejeté les deux demandes de remise qui avaient été faites par le Tribunal Pénal International.

J’ai été mis en examen en juillet 1995 à la suite d’une campagne de presse qui me visait directement et qui incitait des réfugiés rwandais de la région de Montpellier à déposer une plainte contre moi.
J’ai été placé en détention pendant quinze jours jusqu’à ce que la Chambre d’instruction de la Cour d’appel de Nîmes me remette en liberté. Depuis cette date, j’ai toujours répondu à toutes les convocations de la justice.
J’ai participé à plusieurs confrontations et mes avocats ont demandé et obtenu à plusieurs reprises des actes des divers juges d’instruction qui se sont succédés et qui ont conduit ceux-ci, ainsi que le parquet, à assouplir très considérablement le contrôle judiciaire dont je faisais l’objet.

Pour ce qui concerne mon activité à Kigali, au moment des évènements d’avril à juillet 1994, j’étais vicaire de la Paroisse de la Sainte-Famille et j’ai accueilli dans ses locaux un grand nombre de réfugiés Tutsis qui, désemparés et affamés, fuyaient les combats de l’Est du pays et ne savaient ni où se loger ni où se nourrir.
Avec de très grandes difficultés, j’ai essayé du mieux que je le pouvais de leur porter aide et assistance et je crois que pour un très grand nombre d’entre eux j’y suis arrivé, ainsi que beaucoup en ont témoigné.
Si pendant cette période il m’est arrivé de porter un gilet pare-balles, c’était parce que j’étais amené à me déplacer au volant de la camionnette de la Paroisse pour tenter de trouver des vivres et des médicaments.
J’ai essuyé plusieurs rafales d’armes automatiques qui m’ont conduit à me déplacer fréquemment avec un gilet pare-balles qui m’avait été prêté.

J’ai effectivement quitté Kigali et la Paroisse de la Sainte-Famille au début du mois de juillet 1994, car je fuyais à la fois les éléments du FPR qui entraient dans la capitale et voyaient en tout Hutu un extrémiste et les miliciens Hutus extrémistes eux-mêmes qui ne me pardonnaient pas d’avoir apporté des soins à des réfugiés Tutsis.
J’ai été accueilli en France par la Conférence des Evêques et j’ai occupé des fonctions sacerdotales en Ardèche d’abord et dans l’Eure ensuite. Je ne me suis jamais caché.
Je trouve scandaleux de me qualifier de « nouveau Touvier », comme je trouve inadmissible de poser une question qui fait de moi soit un assassin, soit le complice d’assassins.

J’attends avec sérénité que la Justice se fasse et je ne peux admettre que l’on présente tant mon activité pendant le printemps 1994 au Rwanda que mes occupations sacerdotales en France depuis lors de la manière dont votre journaliste l’a fait.

Père Wenceslas Munyeshyaka

Le Monde
C
'est un curé hors norme. Une vedette - du moins à Gisors (Eure), bourgade du Vexin normand, municipalité communiste, où le prêtre rwandais Wenceslas Munyeshyaka est installé depuis juin 2001. Les paroissiens l'adorent. Son ami Gérald, patron du studio photo de la rue de Vienne, en a même fait, en 2006, une carte postale : en soutane blanche, l'ancien abbé de Kigali pose, souriant, à l'intérieur de l'église Saint-Gervais-Saint-Protais. C'est dans cette église que nous l'avons salué, un dimanche de novembre 2009, à la fin de la messe qu'il venait de célébrer.

Une autre photo de l'abbé existe. Moins convenue. Elle a été publiée par Témoignage chrétien, en janvier 2007. Sur ce cliché, le prêtre ne porte pas la soutane, mais un gilet pare-balles. A ses côtés, un militaire. Les deux hommes sont visiblement en bons termes. La photo a été prise à Kigali, par l'AFP, à la fin du printemps 1994. En plein génocide. "Un prêtre bien encombrant", résumait l'hebdomadaire.

Le Père Wenceslas Munyeshyaka, ancien curé de l'église de la Sainte-Famille est, à sa façon, un champion de la chose judiciaire : il est le premier Rwandais résidant en France contre lequel une plainte a été déposée, en juillet 1995, pour son implication présumée dans le génocide des Tutsi. Il est aussi le seul, avec son compatriote Laurent Bucybaruta, ancien préfet de la région de Gikongoro, à avoir été formellement accusé par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR).

En septembre 2007, un mandat d'arrêt était lancé par le TPIR contre lui. Sans plus d'effet que celui délivré, fin 2005, par les autorités judiciaires rwandaises - qui ont condamné Wenceslas Munyeshyaka par contumace, en 2006, à la prison à perpétuité. En France, bien qu'incarcéré brièvement à deux reprises, en 1995, puis en 2007, le curé de Kigali n'a toujours pas été jugé. La Cour européenne des droits de l'homme a d'ailleurs condamné la France, en 2004, pour sa "méconnaissance du principe du délai raisonnable" dans l'instruction de l'affaire. En clair : pour son exceptionnelle inertie.

"Je n'ai rien à vous dire : la presse, je m'en fiche ! Je répondrai à la convocation du juge, quand il y en aura une...", lâche le prêtre rwandais, ce dimanche de novembre. "Je répondrai au juge, qui est le seul représentant du peuple français", répète-t-il, pressé de quitter l'église de Gisors. "Comme prêtre, il est plus près de Dieu que moi. Il fait ce que lui dicte sa conscience, commente une paroissienne. Ce n'est pas à moi de le juger." Le fait que Wenceslas Munyeshyaka soit poursuivi par le TPIR a pourtant ému une poignée de fidèles. Dès sa nomination, André Guillon et son épouse ont quitté l'équipe pastorale qu'ils contribuaient à animer. "Tant que le doute n'est pas levé, il y a un devoir de prudence. On aurait compris que l'Eglise, ayant à gérer cette affaire, le mette à l'écart, dans l'attente du jugement", regrette le couple de retraités.

C'est à la demande du Père Jacques David, alors évêque d'Evreux, avec l'appui de la Conférence des évêques de France, que Wenceslas Munyeshyaka a été nommé prêtre coopérateur et aumônier diocésain des scouts de France. Le procès intenté au "Frère Wenceslas" n'est "d'aucune manière entravé par l'Eglise", assure l'église locale.

Le 4 juillet 1994, à la veille de la prise de la capitale par le Front patriotique rwandais (FPR), Wenceslas Munyeshyaka gagne le nord du pays. Son supérieur, l'archevêque de Kigali, Vincent Nsengiyumva, pilier du régime Habiyarimana, a été exécuté par le FPR dès le mois de juin. Wenceslas Munyeshyaka, proche de l'archevêque, a-t-il été exfiltré par les militaires français de l'opération "Turquoise", comme on le murmure dans les milieux ecclésiastiques ? Il réussit, en tout cas, à passer la frontière et à gagner Goma, au Zaïre (aujourd'hui Congo-RDC). Il y retrouve quelques-uns de ses collègues rwandais : plus de trente prêtres et une soixantaine de grands séminaristes exilés, ainsi que bon nombre de religieux ont été accueillis dans la ville zaïroise par l'évêché local.

C'est de Goma, le 2 août 1994, que l'abbé Wenceslas Munyeshyaka et vingt-huit autres prêtres des diocèses du Rwanda adressent leur fameuse lettre au pape Jean Paul II. Sous leur plume, la folie meurtrière des génocidaires est appelée "courroux du peuple". Parmi les Rwandais "courroucés", figurent, reconnaissent-ils, "ceux qui comptaient parmi nos meilleurs chrétiens". L'abbé Munyeshyaka, né de père hutu et de mère tutsi, fait-il partie des assassins ou de leurs complices ?

"Je sais ce dont on l'accuse. Mais j'ai aussi entendu dire qu'il avait sauvé des vies", commente Mgr Jacques David. "Je n'ai jamais affirmé qu'il n'avait rien fait durant le génocide, insiste l'ancien évêque, aujourd'hui à la retraite. Ce qu'il a fait, je l'ignore : c'est à la justice de le dire. En attendant, on n'a pas à le traîner dans la boue."

Considéré comme l'un des protecteurs de Wenceslas Munyeshyaka, Mgr David, membre d'une mission épiscopale envoyée au Rwanda durant l'été 1994, a agi, explique-t-il, à la demande des responsables parisiens des Pères blancs. En leur nom, il obtient l'accord de l'administrateur apostolique de Kigali pour que Wenceslas Munyeshyaka puisse venir en France. "Ce sont les Pères blancs qui ont pris la suite des opérations", précise Mgr David.

Muni gracieusement d'un visa long séjour et d'un billet d'avion pour la France, Wenceslas Munyeshyaka reste peu de temps à Paris. Il voudrait y faire des études, mais le chanoine chargé de l'accueil des religieux étrangers s'y oppose, estimant qu'il doit d'abord se "remettre à niveau, au niveau pastoral".

Le Père Wenceslas, qualifié de "nouveau Touvier" par la revue Golias, est d'abord envoyé en Ardèche, puis dans l'Eure. Il est fraternellement accueilli - à l'instar des autres religieux étrangers en escale dans l'Hexagone.

Ces prêtres, insérés dans une équipe pastorale, sont hébergés et nourris gratuitement. Ils bénéficient d'une modeste indemnité, "inférieure au smic", note Jean Mpisi dans Prêtres africains en Occident (L'Harmattan, 2008). La comparaison s'arrête là. "Hormis quelques cas particuliers (réfugiés politiques avérés ou autres), les prêtres africains ne sont pas invités à s'engager ad vitam aeternam pour une paroisse française", précise Jean Mpisi.

Or Wenceslas Munyeshyaka, en France depuis bientôt seize ans, ne fait pas partie des "réfugiés politiques avérés". A l'Office de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), auquel il s'est adressé à trois reprises, son dossier est bloqué. Privé du statut de réfugié - qui le mettrait à l'abri d'une extradition vers la Tanzanie (où siège le TPIR) ou vers le Rwanda - le curé au gilet pare-balles est un étrange miraculé. Pour l'éternité ?

Catherine Simon
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