Kigali delenda est
Billet d'humeur d'Eugène Shimamungu (Newsletter n°39)
Contenu
Trois événements en 2012 qui vont changer la donne
Envisager sérieusement la solution militaire
Faut-il détruire Kigali ? La formule répétée par Caton l’Ancien « Carthago delenda est » au début de chacun de ses discours, pour désigner Carthage la rebelle qui avait maintes fois humilié Rome dans les guerres puniques, pourrait inspirer les Congolais. Il y aurait sans doute des Rwandais qui seraient prêts à leur emboîter le pas et marcher sur Kigali, casser la flamboyante de biens mal acquis, plus précisément pillés au Congo. Car il faut stopper l’homme fort de Kigali qui pille, viole, massacre le peuple congolais et impose son joug au peuple rwandais. Et il ne tombera pas sans une volonté sans faille du peuple rwandais. Car comme le disait, ce 15/12/2012, le plus pacifique des Rwandais, Paul Rusesabagina : « Nous affirmons haut et fort que la solution militaire n’est pas notre premier choix. Mais il faut comprendre aussi que notre arsenal de solutions pacifiques n’est pas inépuisable. Trop c’est trop ».
En disant cela Paul Rusesabagina qui a renoncé à participer à la dernière élection présidentielle sous prétexte qu’il était engagé dans l’humanitaire, a-t-il les moyens de mettre en exécution sa menace contre le régime de Kigali ? En tous cas il nous a montré, déjà depuis la présidence de Georges W. Bush, que c’est le seul opposant contre Kagame, qui a le soutien américain, le seul opposant qui collectionne les médailles distribuées en compétition avec l’autre Paul, sanguinaire celui-là !!! Dans son dernier discours, Paul Rusesabagina, dont on pouvait penser que la politique ne l’intéressait pas, a tombé le masque en répétant la phrase de Desmond Tutu : « Si vous restez neutre dans des situations d’injustice, vous avez choisi le camp de l’oppresseur ». Reste à savoir si Paul Rusesabagina, avec un discours plus martial que jamais, dispose des moyens militaires sur le terrain. Il n’a pas hésité à parler des FDLR, dont il a fustigé la diabolisation : « S’il y a des criminels au sein des FDLR, ils doivent être poursuivis par la justice, tout comme s’il y a des criminels - et nous savons qu’il y en a - au sein du FPR, ils doivent également être poursuivis par la justice. Mais de là vouloir diaboliser tout le groupe des FDLR, dont la plupart des membres actuels ont fui au Congo sur le dos de leurs mères ou dans les bras de leurs pères, constitue une fuite en avant pour un régime de plus en plus isolé et à bout de souffle ».
Y’a-t-il une connexion qui pourrait être fructueuse entre Paul Rusesabagina et les FDLR ? En tous cas l’on comprend qu’il n’envisage pas de solution sans eux. Et pourquoi pas ? Ce sont des Rwandais, et chaque Rwandais devrait se sentir investi d’une mission de libération de son peuple quels que soient les moyens.
Trois événements majeurs se sont produits au courant de cette année 2012, qui montrent que les choses ne peuvent pas rester en l’état :
- - la condamnation de Victoire Ingabire à 8 ans de prison ferme pour une femme dont le seul tort est d’avoir osé se porter candidat à la dernière présidentielle, d’autres prétendants à la candidature ont subi le même sort, sinon pire : je veux parler de Me Bernard Ntaganda, Théoneste Niyitegeka, Déo Mushayidi et d’autres opposants politiques tués ou embastillés ;
- - la nième mutinerie du M23 (ancien CNDP de Laurent Nkunda) sous commandement de Jean-Bosco Ntaganda, alias Terminator, recherché par la CPI, encouragé et soutenu par Kigali qui veut absolument établir un état du Kivu sous sa botte ;
- - la réélection de Barack Obama qui a vu partir les soutiens les plus fervents de Paul Kagame dont Mme Clinton qui a annoncé qu’elle ne veut pas se succéder à elle-même au Département d’Etat, et le renoncement de Susan Rice à succéder à sa patronne.
Ces trois événements peuvent faire chanceler l’homme fort de Kigali.
La condamnation de Victoire Ingabire à 8 ans de prison ferme a ruiné les espoirs de la communauté internationale de voir ce régime se moderniser, se démocratiser. L’opposition ainsi décapitée n’a pas réussi à promouvoir un autre leader capable de mobiliser les Rwandais et la communauté internationale derrière lui comme l’avait fait Victoire Ingabire. Le manque de leadership, d’un interlocuteur dans l’opposition est dommageable à court et à moyen terme surtout au moment où Kagame se trouve en très grande difficulté et que les puissances influentes (notamment USA, Grande Bretagne) dans la région, voudraient se débarrasser de l’homme qu’elles ont mis au pouvoir et qu’elles veulent asphyxier en coupant les aides internationales.
Cette situation s’est empirée avec la mutinerie du M23, de sorte que le gouvernement a été obligé de mettre en place le fonds Agaciro pour pallier au manque d’aide internationale, et soutenir la guerre au Congo. Mais en fermant le robinet de l’aide, la communauté internationale n’encourage-t-elle pas en quelque sorte le Rwanda à rester au Congo ?
La réélection de Barack Obama va peut-être changer la donne, puisque avec le départ annoncé des « clintoniens » du département d’état, un communiqué de la Maison Blanche a été publié le 18 décembre 2012, pour dire à Paul Kagame de cesser toute aide au M23. Paroles, paroles, paroles, … me direz-vous ! Mais on peut s’interroger si ce n’est pas le signe d’un changement de la politique américaine envers le Rwanda. Le changement des têtes au département d’état impliquera-t-il un changement de la situation dans la région des grands lacs africains ? John Kerry pressenti pour succéder à Hillary Clinton ne s’est jamais exprimé sur l’Afrique et l’on ignore actuellement ses intentions. Sa méconnaissance de la région des grands lacs peut l’amener à s’assujettir à des conseillers clintoniens qui ont des intérêts importants et qui rechignent à dégommer Paul Kagame par crainte que ce dernier ne dévoile tous leurs secrets. C’est cela aussi la force de Kagame qui, dans chacun de ses discours, n’hésite pas à faire jouer le chantage en disant à mots à peine couverts, qu’il n’a jamais fait obstruction au pillage des ressources naturelles du Congo qui passe par le Rwanda.
Puisque la voie démocratique n’est pas possible, la solution militaire est-elle finalement à envisager ? L’un des fondateurs du FPR, Charles Kabanda a en tous cas déclaré que le FPR a pris le pouvoir par les armes et n’envisage pas de le céder (« twafashe ubutegetsi, kandi turabufite nta n’ubwo dufite gahunda yo kubutanga »). C’est-à-dire que la solution militaire est à envisager sérieusement puisque le FPR qui se fait réélire frauduleusement et sans concurrent à toutes les élections, ne cédera pas le pouvoir démocratiquement. Un simple coup d’état de l’intérieur ne changerait pas forcément les choses surtout s’il est fait par les hommes du FPR. Jusqu’à présent il n’existe pas de rébellion à l’intérieur du Rwanda, et cette voie n’est peut-être pas possible avec des FDLR affaiblis. Mais il faut toujours apprendre de ses adversaires, relire Sowing the Mustard Seed (1997, Macmillan Publishers Ltd) de Yoweri Kaguta Museveni – un excellent manuel d’apprentissage de la guérilla – et appliquer à la lettre quelques recettes que l’on peut déduire de cet ouvrage :
- - l’engagement d’une guérilla ne nécessite pas au préalable ni hommes, ni armes, ni argent (tout cela s’acquiert au fur et à mesure), il faut simplement une ferme détermination de parvenir à ses fins ;
- - il faut se battre avec les moyens de l’adversaire : plus il est surarmé, plus il devient facile de lui prendre les armes ;
- - la guérilla est facile à faire quand elle n’évolue pas en milieu hostile, quand la population locale (wananchi) est derrière vous ;
- - ne jamais s’attaquer à la population locale (erreur fatale commise par les abacengezi mais surmontée par le FPR grâce au nettoyage ethnique dans les zones conquises) parce qu’il faut pouvoir se nourrir, recruter, et se déplacer sans être dénoncé ou combattu ; au besoin il faut leur demander d’évacuer les zones de combat et ainsi les mettre à la charge de l’adversaire pour ne pas avoir à les protéger ;
- - toute rébellion se fait à l’intérieur du pays que l’on veut conquérir, et non à l’extérieur
Mais il faut cependant savoir qu’aucune guérilla, à elle seule, n’est jamais parvenue à renverser un pouvoir sans le concours d’un pays frontalier. L’armée d’Idi Amin Dada a été démolie par l’armée tanzanienne et l’Ouganda est tombé dans le chaos dont a largement profité Museveni pour prendre Kampala quelques années plus tard. Le FPR est parvenu au pouvoir grâce à l’aide inconditionnelle de l’Ouganda ; le CNDD au Burundi est parvenu au pouvoir grâce à l’incurie qui règne au Congo et qui n’arrive pas à contrôler ses frontières ; l’AFDL est parvenue au pouvoir au Congo, grâce à l’armée du FPR qui voulait et veut toujours occuper le pays et le gouverner seul ou avec les Congolais. Et c’est, entre autres, pour cette raison qu’il entretient une rébellion dans le Kivu. La rébellion du Kivu sert aussi de verrou pour ne pas laisser passer les FDLR, raison toujours invoquée par le régime de Kigali. Car le jour où ce verrou va sauter, ce sera la fin du régime de Paul Kagame qui ne pourra pas éviter en même temps l’invasion du Congo avec ou sans les FDLR.
Eugène Shimamungu