Il faut sauver la soldate Ingabire
Billet d'humeur d'Eugène Shimamungu (Newsletter n°20)
Le scénario de la candidature de Victoire Ingabire à la présidentielle écrit et réalisé par Kagame, se déroule jusqu’à présent sans
incident… enfin pour Paul Kagame seul. Car l’on peut dire à présent que la délégation des FDU au Rwanda est en train de jouer un scénario catastrophe comme nous l’avions prévu. En décidant de participer aux présidentielles sans prendre
ses gardes, Victoire Ingabire s’est avancé dans un jeu de poker où elle risque de tout perdre. L’agression contre la présidente des FDU et le vol de ses papiers, l’incarcération d’un de ses
assistants, tout ceci n’est pas un hasard – l’avalanche médiatique contre la candidate, la vraie-fausse condamnation d’un gacaca imaginaire contre son assistant –, mais un jeu préparé et
millimétré par le pouvoir dictatorial de Kigali, d’abord pour présenter une façade fallacieusement démocratique, ensuite intimider la candidate autoproclamée et si cela ne réussit pas, l’empêcher
d’inscrire son parti politique. S’elle ne renonce pas, commettre l’irréparable auquel tout le monde s’attend fatalement : incarcérer Victoire Ingabire elle-même, ou pourquoi pas organiser un
attentat qui lui fera perdre tous ses moyens, si elle n’y perd pas la vie. Tout a failli bien marcher le jour où elle est allée chercher ses papiers à l’administration communale, mais son heure
n’était pas venue, on l’a laissée simplement se sauver, en attendant une prochaine occasion. La façon dont elle a été convoquée (par téléphone) sentait déjà le guet-apens organisé par le
pouvoir.
Aujourd’hui on peut dire que Victoire Ingabire est tombée dans la nasse avec le vol de ses papiers. Car pour les récupérer, cela dépendra du bon vouloir de Paul Kagame. Et puisque l’inscription des FDU en tant que parti politique dépend de la possession des papiers d’identité en bonne et due forme, ce ne sera pas une simple formalité administrative, mais comme tout ceci s’est jusqu’à présent déroulé pour les partis politiques PS Imberakuri (agréé) et le parti des Verts (non encore agréé), une affaire hautement politique et finement calculée sur les avantages et les inconvénients. Le plus grave dans tout ceci, c’est que, sans son passeport, Victoire Ingabire ne pourra regagner sa Hollande d’adoption que grâce à un sauf-conduit délivré par une chancellerie occidentale après s’être constituée à nouveau réfugiée ! Sauf évidemment s’elle décide elle-même de ne pas quitter le pays, mais ce sera à ses risques et périls. Il est d’ores et déjà inutile de penser à récupérer ses papiers, si le pouvoir veut réellement l’empêcher d’inscrire les FDU en tant que parti politique.
Le mutisme flagrant des pays étrangers et des hommes politiques rwandais expatriés
Malgré que la presse occidentale s’est fait écho de l’agression dont Victoire Ingabire et son assistant ont été victimes, aucune condamnation de cet acte criminel par un pays étranger n’a été enregistrée. Cela fait froid dans le dos lorsque l’on sait que Paul Kagame, pour commettre un crime, il procède par gradation du plus petit au plus grand relativement à la réaction de la communauté internationale. Tout ceci n’est en effet qu’un test pour Paul Kagame, si la communauté internationale ne réagit pas, il doit s’apprêter à passer au plus grand. Le chantage organisé par les FDU n’a pas suffi pour mobiliser les hommes et femmes politiques que Victoire Ingabire a pris le soin de visiter avant de partir. Si dans l’immédiat la stratégie du chantage ne fonctionne pas, et si c’est la seule arme dont dispose les FDU, il faut se poser des questions sur son efficacité à l’avenir. Car à force de crier au loup, on sait ce qu’il advient…
Ce qui est encore plus étonnant c’est le mutisme des autres partis politiques basés à l’extérieur du Rwanda. Victoire Ingabire n’a enregistré que le soutien du PDP (Parti pour la Défense du Peuple) de Mushayidi et du PDR Ihumure (Parti pour la Démocratie au Rwanda), mais guère de déclaration, surtout individuelle, des ténors de la politique rwandaise comme Rusesabagina, ou Ildephonse Munyeshyaka pour ne citer que ceux-là. Ce silence est préjudiciable à toute avancée politique dans le sens de la démocratisation du Rwanda. On dirait que le jour où ils se sont désolidarisés de l’action de Mme Victoire Ingabire, ils ont renoncé en même temps à toute lutte politique pendant la préparation et le déroulement de cette élection présidentielle de 2010 et peut-être aussi pour la suite. Seule la dénonciation unanime de la criminalité de l’état voyou de Paul Kagame contre l’exercice élémentaire des droits civiques de chaque citoyen devrait mobiliser la communauté internationale pour le changement politique au Rwanda.
Eugène Shimamungu