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 Editions Sources du Nil  : Livres sur le Rwanda, Burundi, RDCongo

Du lac Kivu jaillit la lumière

10 Septembre 2010 , Rédigé par Editions Sources du Nil Publié dans #Ressources et environnement

Source: Courrier International

Un projet unique au monde permettant d’exploiter le méthane contenu naturellement dans les profondeurs du lac vient d’être lancé.


La nuit tombe sur le lac Kivu. Les pêcheurs chantent dans leurs catamarans. Alors qu’ils s’éloignent de la rive, les volcans jumeaux disparaissent peu à peu dans l’obscurité. Les hommes allument des lampes à kérosèneKivub_isobathe.jpg pour attirer les sardines sambaza dans leurs filets. Sur l’immense lac, seules ­scintillent les minuscules lumières des lanternes. Du moins, c’est ainsi que cela se passait. Maintenant, près de la rive nord, les brillantes ampoules fluorescentes illuminant une longue barge sont visibles à des kilomètres à la ronde. C’est le début d’un projet qui pourrait éclairer l’ensemble du Rwanda pendant des décennies, tout en réduisant le risque d’une catastrophe pour les 2 millions de personnes qui vivent le long de ce type rarissime de “lac explosif”.

Le bateau extrait les gaz piégés dans les couches d’eau inférieures du lac Kivu, telles les bulles d’une bouteille de champagne. Il s’agit d’une première mondiale. On isole le méthane, principal composant du gaz naturel utilisé pour la cuisine et le chauffage domestique, avant de l’acheminer par une conduite vers les rives accidentées pour alimenter trois grands générateurs.

La centrale de Kibuye Power, contrôlée par l’Etat, génère déjà 3,6 mégawatts d’électricité, soit plus de 4 % de la production du pays. Mais le succès du projet pilote et l’énorme demande non satisfaite au Rwanda – une habitation sur quatorze a accès à l’électricité – ont encouragé les investisseurs locaux et étrangers à engager des centaines de millions de dollars dans de nouvelles centrales à méthane installées au bord du lac.

Le gouvernement espère que, d’ici à deux ans, un tiers du courant électrique proviendra du lac Kivu et qu’à terme la ­production sera suffisamment importante pour en exporter vers les pays voisins.

“Nos aïeux connaissaient l’existence du gaz dans ce lac, mais maintenant nous avons démontré qu’il était possible de l’exploiter”, commente Alexis Kabuto, l’ingénieur rwandais qui dirige Kibuye, un projet de 20 millions de dollars [15,5 millions d’euros]. “C’est une énergie propre, bon marché, qui nous durera peut-être cent ans.” Depuis toujours, le gaz du lac Kivu s’est montré meurtrier. Des décès attribués à d’invisibles poches de dioxyde de carbone, les mazuku, ou “vents maléfiques”, remontant le long des cheminées situées près des rives, survenaient fréquemment, en particulier au Congo. Mais c’est le gaz dissous dans l’eau qui représenterait un bien plus grand danger.

Selon les scientifiques, les volumes toujours plus importants de dioxyde de carbone et de méthane contenus dans le lac, conjugués à l’activité volcanique toute proche, rendent très probable une éruption limnique (on parle également d’inversion des eaux du lac, au cours de laquelle le CO2 jaillit soudain du lac) dans un avenir plus ou moins proche, à moins qu’un dégazage ne soit réalisé. C’est ce qui a commencé avec l’extraction d’une soixantaine de milliards de mètres cubes de méthane. Les deux seuls autres lacs explosifs connus dans le monde, Monoun et Nyos, tous deux au Cameroun, ont été le théâtre d’explosions limniques dans les années 1980. Les nuages de dioxyde de carbone qui ont surgi des profondeurs ont tué par asphyxie environ 1 800 personnes. Mais le lac Kivu est près de 2 000 fois plus étendu que le lac Nyos et il se situe dans une zone bien plus peuplée. C’est sans doute “l’un des lacs les plus dangereux au monde”, estime Cindy Ebinger, professeur de sciences de la Terre à l’université de Rochester, aux Etats-Unis.

Niché sur la frontière entre le Rwanda et la république démocratique du Congo, le lac Kivu se trouve au point le plus haut de la branche occidentale de la grande vallée du Rift. Côté Congo, les monts Nyiragongo et Nyamulagira sont entrés en éruption récemment, le premier déversant des rivières de lave brûlante dans le lac en 2002. Pour recueillir le méthane, on pompe l’eau chargée en gaz avec un tuyau relié à un bateau, où l’on procède à la séparation du liquide et des gaz. Ces derniers pénètrent alors dans un épurateur qui isole le méthane du dioxyde de carbone. Kibuye Power veut porter sa production à 50 mégawatts d’ici cinq ans. Une entreprise privée rwandaise, qui a reçu l’autorisation de produire une quantité similaire, procède à des essais techniques sur son propre bateau, arrimé non loin de là. Des négociations sont également en cours avec le Congo, auquel revient de droit la moitié du gaz naturel du lac, pour la construction d’une centrale commune de 200 mégawatts.

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