Qui c’est le prélat défroqué Privat Rutazibwa
Rutumbu Juvénal, 2013, Rwanda, les voies incontournables de la réconciliation Editions Sources du Nil (verbatim) Vous pouvez commander le livre aux Editions Sources du Nil ou en ligne sur son site (20€), le livre est également accessible dans le format kindle (9,99€)
En s’engageant résolument pour le compte du F.P.R., d’abord par la prise des armes au sein de l’A.P.R., ensuite par la militance politique et, enfin, par l’écriture propagandiste en faveur du régime F.P.R., l’abbé Privat Rutazibwa est passé pour l’un des grands idéologues au service du F.P.R.. L’Église catholique en général, – celle du Rwanda en particulier –, a constitué une des cibles privilégiées de sa plume acide.
Pourquoi ce jeune religieux du diocèse de Goma (Zaïre), ordonné prêtre à Kabgayi (Rwanda) en septembre 1990 par le Pape Jean-Paul II et détenteur d’une licence de théologie dogmatique des Facultés catholiques de Kinshasa (P. CARIOU, 1996, p.247-251), s’est-il acharné aussi violemment et aussi aveuglément contre une mère (l’Église Catholique) dont il a si longtemps sucé les mamelles ? Est-ce dû uniquement à une crise d’identité sacerdotale ou à un engagement politique prémédité (RUTAZIBWA, 1995, pp.170-173) en se servant de sa couverture ecclésiastique ? Quels sont les véritables motifs qui ont poussé ses confrères idéologues du F.P.R. (tels que le dominicain B. Muzungu, le jésuite O. Ugirashebuja...) ainsi que lui-même, à concentrer leurs violentes attaques, souvent injustifiées, contre l’Église catholique du Rwanda ?
Rutazibwa et la réécriture de l’histoire du Rwanda
Comme on pouvait s’y attendre après sa victoire militaire, le F.P.R. en a profité pour asseoir sa conquête idéologique. Or, l’une des grandes ossatures de cette dernière consiste à faire croire que a) la question ethnique n’a jamais existé au Rwanda pré-colonial ; b) qu’elle est née avec l’arrivée des colonisateurs et des missionnaires et c) qu’elle a été aggravée par le régime républicain (F. X. BANGAMWABO, 1991, p.61-129). Cette idéologie allant à l’encontre de l’historiographie rwandaise connue jusqu’à maintenant, une réécriture de l’histoire -conforme à cette idéologie- s’est avérée nécessaire.
C’est Privat Rutazibwa (1995, p. 38-39) lui-même qui fixa les objectifs de cette réécriture: « Réécrire l’histoire, ce sera donc et avant tout, rendre témoignage à la vérité à travers toute l’histoire nationale. Convaincre les coupables de leur culpabilité, reconnaître et respecter la souffrance des victimes, exalter le courage, le dévouement et le sacrifice de ceux qui ont résisté à la folie collective, telle sera la tâche primordiale (...). La nature funeste et perverse de l’idéologie ethniste, qui a marqué les politiques républicaines antérieures, sera à son tour sérieusement dévoilée ; de même que les méfaits de la colonisation, le rôle souvent insidieux et funeste de l’Église catholique romaine, sans oublier l’hypocrisie et les complicités de la communauté internationale. La nouvelle historiographie rwandaise portera également une attention soutenue à l’histoire du Rwanda pré-colonial encore très mal connue jusqu’à ce jour. Par-delà l’œuvre rudimentaire, approximative et parfois tendancieuse des historiens amateurs (missionnaires, explorateurs et autres coloniaux) et des hérauts de la révolution rwandaise, la nouvelle historiographie devra illustrer des trésors inestimables de notre patrimoine ancestral, sans omettre les aspects peu reluisants de notre passé. (...) Ayant ainsi retrouvé une vision commune d’un même passé, nous pourrons ainsi envisager et construire ensemble un avenir commun. (...) L’intrusion des acteurs occidentaux dans l’histoire du Rwanda constitue le facteur primordial de la détérioration des rapports ethniques ».
On l’aura bien compris : cette réécriture vise « au rétablissement de la vérité » (ibidem, p. 11), c’est-à-dire à la mise en exergue du soi-disant caractère paradisiaque et virginal de l’époque pré-coloniale, époque pendant laquelle les ethnies auraient vécu en parfaite harmonie, animées d’une conscience et d’une unité nationales. « Outre l’unité culturelle, écrit Rutazibwa, la preuve la plus irréfutable de l’unité du peuple rwandais à l’époque pré-coloniale était le développement de la conscience nationale : Hutu, Tutsi et Twa vivaient en symbiose et en harmonie, conscients d’être un seul et unique peuple (Imbaga y’u Rwanda) » (ibidem, p. 22). Ainsi, les prétendues « vision commune de notre passé », et « histoire nationale » reviennent à la vision de l’histoire du Rwanda revue et corrigée selon l’idéologie du F.P.R. Sa révision consiste à chanter les hauts faits du F.P.R. et de ses ancêtres (les rois nyiginya et les leaders de l’U.NA.R.), et à culpabiliser tous ceux qui ne vont pas dans ce sens.
Rutazibwa et l’apologie du FPR
Une autre marque de l’ambiance intellectuelle du régime F.P.R. a trait à la violation des droits de l’homme. Le mythe d’une armée patriotique rwandaise, disciplinée et démocrate a très rapidement cédé place à la véridique image d’une armée criminelle et sanguinaire, au service d’un État totalitaire. Bien que la communauté internationale ait réagi très timidement contre cette situation (vraisemblablement à cause du génocide encore frais dans les mémoires), la contre-offensive F.P.R. ne s’est pas fait attendre. Les intellectuels voués à son service ont établi une excellente parade stratégique qui consiste à minimiser les excès du régime F.P.R. en insistant sur le fait que ces violations des droits de l’homme ne sont que des cas isolés, ni organisés ni commandités par le régime. « On épingle, nous dit B. Muzungu, les faux pas, parfois isolés ou individuels, du nouveau régime » (B. MUZUNGU, 1996, p.45). « (...) On est d’emblée frappé, écrit P Rutazibwa, par cet acharnement constant à vouloir charger le Gouvernement rwandais de tous les actes individuels qui sont commis aujourd’hui dans le pays » (P. RUTAZIBWA, 1995, p. 128). Et le mémorandum envoyé au pape Jean-Paul II de conclure : “ (...) tous ces incidents n’étaient que des actes isolés, résultant de la situation relativement mal contrôlée immédiatement consécutive à la guerre, aux massacres et au génocide » (P. RUTAZIBWA, 1996a, p.8). Pour les idéologues du F.P.R., tout se passe comme si le Gouvernement rwandais n’était pas responsable de la sécurité des personnes et des biens appartenant à son territoire.
Ils vont encore plus loin : ils suspectent tous ceux qui élèvent la voix contre cette situation de complicité avec l’idéologie ethniste et génocidaire. « Mais quand on pense, écrit Rutazibwa, que ces personnalités (...) n’ont pas toujours dénoncé, avec autant de vigueur, l’idéologie et les actes qui ont précédé ou préparé le dernier génocide, quand on sait qu’ils n’ont pas toujours manifesté la même véhémence et la même indignation devant l’extermination systématique et la destruction massive des personnes et de leurs biens, au cours de la récente tragédie, lorsqu’on se rappelle l’indifférence, le cynisme et parfois même la complicité de certains d’entre eux dans les drames qui ont jalonné les trente-cinq dernières années de l’histoire de notre pays, on est en droit de se demander si la compassion et la sensibilité qui se manifestent aujourd’hui sont idéologiquement neutres ! » (P. RUTAZIBWA, 1995, p.143).
De là à les culpabiliser et à les traiter, purement et simplement, d’idéologues ethnistes et génocidaires, il n’y a qu’un pas que les têtes pensantes du F.P.R. franchissent allègrement (P. RUTAZIBWA, 1995, p. 175-177 ; 1996b, p. 4 ; 1996a, p.3, 4, 5, 12, 22, 24, 33, 34). « Face au drame rwandais, écrit Rutazibwa, nombre d’intervenants sur la scène sociopolitique nationale et internationale sont manifestement coupables. Ils le sont au titre d’initiateurs, de complices ou de soutien à l’idéologie destructrice qui mine le pays depuis plus de trois décennies. Ils le sont encore au titre de spectateurs inactifs, inefficaces et inconséquents devant les tragédies successives qui en ont résulté » (P. RUTAZIBWA, 1995, p.176).
Là aussi, quelques remarques critiques s’imposent. En effet, les prises de position de Privat Rutazibwa et de ses amis reflètent les postes qu’ils occupent dans la société rwandaise d'aujourd'hui. Ils ont un intérêt commun : conserver leur place dans l’hégémonie actuelle du F.P.R. Ils y assurent la même fonction idéologique que le régime F.P.R. : justifier ou défendre « des emblèmes de distinction qui soient en même temps des instruments de dénégation de la réalité sociale ».